La chef de mission ukrainienne, Nina Umanets, a fini par me raccrocher la ligne au nez.

Non, les athlètes ne feront aucune déclaration sur la situation à Kiev. «On ne mêle pas le sport et la politique, à Sotchi, les athlètes sont là pour le sport.»

Ah bon? Les athlètes ukrainiens ont eux-mêmes demandé à porter un brassard noir en signe de deuil pour les 25 morts de Kiev.

Le Comité international olympique (CIO) avait ordonné aux fondeurs norvégiens de retirer le leur, porté en mémoire du frère d'une athlète norvégienne qui s'est suicidé la veille des Jeux.

Vous pensez bien qu'ils n'allaient pas faire une exception pour l'Ukraine, un cas infiniment plus explosif.

Me semble qu'un brassard, ça se porte sans permission, non? Tommie Smith et John Carlos, sur le podium du 200 m aux Jeux de Mexico, n'avaient demandé à personne avant de mettre un gant noir pour soutenir les Black Panthers...

Toujours est-il que la bulle olympique vient d'éclater. Le CIO, qui tient sa conférence de presse chaque matin ici, se tient sur une fine ligne diplomatique.

«Les scènes qui nous proviennent d'Ukraine sont terribles, a dit Mark Adams, son porte-parole. La trêve olympique a une grande importance symbolique pour nous, mais je ne crois pas que ça joue un rôle quelconque là-bas.»

En effet...

Chaque jour, les incidents policiers s'accumulent dans différentes villes russes et les questions se multiplient sur la répression contre les opposants au président Poutine, les environnementalistes muselés, les militants des droits des gais rudoyés... Chaque jour, on nous répète que le CIO a reçu «des garanties du président de la Fédération russe que la Charte olympique serait respectée pendant les Jeux pour tous les participants».

Pendant les Jeux... Pour les participants.

Hors de la bulle, les Pussy Riots, venues pour provoquer sur la place publique dans le centre de Sotchi, se font agresser par une milice cosaque.

Les cosaques ne sont pas seulement du folklore: la milice a survécu et a été intégrée à la police régionale juste avant les Jeux. On en voit dans leur costume traditionnel patrouiller fièrement dans les rues, et au premier coup d'oeil, on n'est pas tout à fait certain d'avoir affaire à la fine fleur des forces de sécurité...

Après avoir été fouettées et rudoyées par ces cosaques, elles n'ont pas été arrêtées.

Ce n'est sûrement pas la fin. Les violences d'un gouvernement soutenu par Moscou, juste dans la cour des Jeux, les arrestations qui se multiplient, tout ça prend de plus en plus de place et il n'est plus tellement question de météo aux briefings du CIO.

* * *

Hier, dans Le Monde, mais ailleurs aussi, certains en appelaient à boycotter la fin des Jeux.

Euh... Il est un peu tard pour y penser, non?

De toute manière, veut-on faire payer aux athlètes les décisions du CIO ou l'incapacité de la diplomatie européenne et internationale?

Mauvaise idée.

La meilleure est une «vieille»

En 2002, aux Jeux de Salt Lake City, je me souviens de cette Allemande phénoménale appelée Claudia Pechstein.

Une ancienne, déjà: elle avait fait Albertville en 1992 (une médaille de bronze), Lillehammer en 1994 (or et bronze), Nagano en 1998 (or et argent) et là, à Salt Lake, deux médailles d'or!

Douze ans plus tard, elle y est toujours, et c'est encore la meilleure patineuse de vitesse de son pays. De loin!

Hier, elle a fini 5e au 5000 m. Elle avait fini 4e au 3000 m. À quelques secondes et une ou deux Néerlandaises d'un podium.

«Ce sont vos derniers Jeux, j'imagine», lui a glissé une collègue néerlandaise, hier.

Oh! Elle n'a pas aimé ça...

«Quoi? Pourquoi ça? Il n'est pas question que j'arrête. Je suis la plus vieille de l'équipe, mais je suis encore la meilleure. Ce n'est pas un bon signe pour l'équipe, mais je n'y peux rien!»

Elle a encore obtenu des premières places en Coupe du monde depuis un an.

Elle aura 42 ans le jour de la cérémonie de clôture, et ce sont ses sixièmes Jeux olympiques.

Car il y a eu Turin, en 2006 (l'or au relais, l'argent au 5000)... Mais pas Vancouver.

Il n'y a pas eu Vancouver parce que la Fédération internationale de patinage de vitesse a trouvé des anomalies dans son sang qui l'ont fait conclure à du dopage sanguin. Suspension de deux ans, mais fondée sur une déduction. Les règles actuelles ne permettraient plus de suspendre un athlète sur cette base.

Immense histoire en Allemagne. Contestation judiciaire, sans succès. Maintenant, elle poursuit la Fédération internationale en dommages devant la justice allemande et elle reçoit un certain appui médical et médiatique.

Ajoutons à cela qu'elle est de l'ancienne Allemagne de l'Est, où se trouve le gros de la tradition allemande de patinage de vitesse - clairement en train de dépérir. Plusieurs des entraîneurs actuels sont des ex-Allemands de l'Est sur le point de partir à la retraite et ils n'ont pas tous la réputation d'avoir été des adeptes de l'eau claire.

N'empêche: la «vieille» a beau venir de la mauvaise partie du pays, elle n'a jamais réellement subi un test positif...

Alors elle court toujours.