L'épineuse question du choix du porte-drapeau est déjà réglée pour le Pakistan: Muhammad Karim est le seul athlète aux Jeux d'hiver.

Karim, 18 ans, est un skieur de Naltar, village de 1500 habitants du nord du pays. Tout comme le seul autre athlète pakistanais à avoir participé aux Jeux d'hiver (à Vancouver).

La région est tout en montagnes. C'est dans cette province, le Gilgit-Baltistan, qu'on trouve le K2, notamment.

Tout naturellement, on s'attend à y trouver une pépinière de skieurs, n'est-ce pas?

Pas du tout. Dans ces régions reculées du Pakistan, où l'on vit d'une pauvre agriculture et où le tourisme de montagne a périclité pour cause de troubles politiques et de terrorisme, on n'a pas le moindre intérêt pour le ski alpin.

Ni l'intérêt ni même le luxe d'avoir une station de ski. Qui ferait du ski? Avec quel argent?

«Mon père est un fermier, il fait pousser des pommes de terre, mais la saison est très courte, l'hiver est froid», m'a dit dimanche l'homme-délégation, quand je l'ai rencontré dans le Parc olympique de Sotchi.

Les enfants, pour s'amuser, se font des skis avec des planches de bois depuis longtemps. Mais du vrai ski? Jamais, voyons.

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Dans les années 60, les Forces de l'air pakistanaises ont installé un camp de survie hivernale près de ce village enseveli sous la neige presque toute l'année, et accessible par jeep ou par voie aérienne.

L'armée de l'air a décidé de créer une école de ski et une petite station alpine.

Dans cette région troublée où la frontière du Cachemire est disputée avec l'Inde, l'armée tente de tisser le plus de liens possible avec la population locale.

«C'est l'armée de l'air qui paie tout le programme, sans elle, nous ne serions pas ici», insiste Jawaid Iqbal, gérant de l'équipe.

École de ski, oui, mais école tout court. L'accès à l'éducation est aussi rare que le ski alpin, dans cette région. Grâce à l'école de ski, on attire des enfants par le sport et on les envoie à l'école jusqu'à l'université.

Karim étudie la biologie. «Au moins 60 garçons du village se sont trouvé un bon emploi dans l'administration ou dans l'armée ou ailleurs grâce au programme. C'est un nouveau départ pour ce village», me dit fièrement le gérant.

Les garçons... Mais les filles?

«On a réussi à faire entrer les filles dans le programme, et maintenant, il y en a plusieurs à l'école», précise Ahmad Bajwa, l'entraîneur.

Comment ça, «réussi»?

«C'est une région très particulière, vous savez, les filles ne vont pas beaucoup à l'école, ce n'est pas encouragé. Mais comme elles voyaient leurs frères et leurs cousins à l'école de ski, elles ont demandé à y aller, et après un peu de résistance, ils ont accepté, ils n'avaient pas le choix.»

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Combien d'enfants chez vous, Muhammad?

«Presque neuf.»

Comment ça, «presque» neuf, ta mère est enceinte?

L'entraîneur répond à la place de l'athlète et m'explique que dans cette région, ça ne se fait pas demander à quelqu'un combien il a de soeurs. On ne parle que du nombre de frères.

Ah bon? Et pourquoi? «C'est comme ça. Discrétion.»

Toujours est-il qu'il a cinq frères et trois soeurs. Ça fait à peu près neuf.

Dans cette station-école, qui est devenue la seule station de ski au Pakistan depuis que des terroristes ont détruit l'autre, on fournit de l'équipement de qualité, des entraîneurs et, chose tout aussi rare, des livres d'école et des professeurs.

On est loin d'avoir produit des champions jusqu'ici. Ils ne participent pas à la Coupe du monde.

Ils vont tout de même s'entraîner parfois en Autriche ou en Italie, et vont à des compétitions en Iran, en Turquie ou au Liban. Plus près, moins cher, plus à leur niveau.

Karim, le pionnier des JO d'hiver, est une fierté nationale. L'essentiel, on l'a deviné, n'est sans doute pas dans le nombre de points FIS qu'ils récoltent. Mais dans ce «nouveau départ» pour tout un village où on n'a pas connu de biologiste jusqu'ici...

Et même si c'est par la porte étroite du ski alpin que les filles ont accès à l'école, mine de rien, c'est aussi un «nouveau départ» qui pourrait changer quelques vies...