Notre hôtel se trouve quelque part entre la mer Noire, l'Abkhazie et beaucoup d'asphalte.

En arrivant à l'hôtel, je croise un homme avec un rouleau de tapis sous le bras. Un autre transporte une armoire. Un troisième sort d'une chambre avec un tube de mastic. Etc. Bing, bong, tac...

Pas de panique, il reste encore trois grosses journées...

Ah, tiens? La poignée de la chambre que j'inaugure reste dans ma main en ouvrant la porte. Un voisin n'a pas d'eau chaude.

Bah, rien de grave. Le personnel est avenant et trouve toujours une solution.

Un peu partout en ville, on voit des ouvriers boucher une rue, transporter une brouette de terre, installer du pavé, de la tourbe. Ici, ils en ont manqué, ils ont peint le sol en vert.

On a beau payer trop cher, ça ne garantit pas des Jeux livrés à l'heure. Soyons plus précis: les Jeux sont prêts depuis longtemps. Les lieux de compétition sont impeccables. Le transport est efficace. Bref, côté sport, tout baigne apparemment.

C'est la transfiguration de la ville en station balnéaire recherchée qui est inachevée. Si les Jeux se voulaient une vitrine pour cette nouvelle destination russe, ce n'est pas encore très convaincant...

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Jusqu'aux J.O., Adler était un bled marécageux en banlieue de Sotchi, une ville de 350 000 habitants.

Après les Jeux, ça pourrait devenir un bled en béton en banlieue de Sotchi, avec plein de constructions inutiles.

L'endroit, couché au pied du Caucase, est pourtant exceptionnel. À peine 5 km à l'est, on voit les montagnes de l'Abkhazie voisine tomber dans la mer Noire, qui est plutôt turquoise si vous voulez mon avis.

En face de la mer, à moins de 50 km, les montagnes blanches du Caucause où auront lieu les épreuves de neige.

Une promenade de 5 km, plutôt jolie, vient tout juste d'être aménagée en bord de mer.

Des pêcheurs ont tendu des lignes à l'eau. Quelques personnes du village s'y baladent au milieu de policiers.

On croise plein de chiens errants qui font semblant de ne pas errer, de peur d'être ramassés par les employés municipaux, sortes d'escadrons de la mort canins à l'oeuvre depuis plusieurs mois pour nettoyer l'endroit.

En face de la promenade, plusieurs villas cubiques «de luxe», toutes identiques, sont en train d'être construites. «C'est bien, mais j'aime mieux aller en Espagne», me dit une bénévole de Saint-Pétersbourg.

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La plage de gros galets et de sable noir a ses charmes, mais assez pour remplir tous ces complexes hôteliers? Il en faudra, des congrès...

Je ne parle pas des hôtels de luxe en bord de mer. Je pense à ces blocs en crépi pastel ou beige de cinq étages, les uns derrière les autres, tous identiques, d'où j'écris ces lignes. On y est correctement logé. Sauf qu'on parle de milliers de chambres dans des hôtels construits à la va-vite, dans un désert asphalté. Quelques arbres chétifs viennent d'être plantés. Des canaux en béton encadrent les complexes. Ils compensent la destruction des marais qui absorbaient les sautes d'humeur de la mer.

Tout ça ne masque pas la banalité des nouvelles constructions, qui forment une sorte de Mascouche néo-soviétique.

Même quand on aura trouvé des patineurs pour ces magnifiques installations, qui viendra louer une chambre ici l'été prochain?

Un projet à long terme, assurément...

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On a dit 50 milliards... 55, même?

D'après le Comité international olympique (CIO), il en a fallu «seulement» 7 pour construire les sites, et encore: avec la participation de sociétés d'État (Gazprom) ou privées, mais près du pouvoir.

Où est allé le reste, alors? Beaucoup, peut-être la moitié, dans la corruption des proches de Poutine, qu'il fallait arroser pour obtenir les contrats. C'est du moins ce que soutient un entrepreneur russe exilé à Londres.

De ce qui a effectivement été dépensé, et non volé, il faut surtout calculer les infrastructures: trois centrales électriques thermiques (les cheminées de Gazprom surplombent le parc olympique) pour alimenter toute la région; un système d'égout et de distribution d'eau; la construction de toutes ces routes, la promenade reconfigurée, le train pour la montagne, etc.

Dans une entrevue au Monde, Jean-Claude Killy, ex-champion de ski et membre du CIO qui a supervisé le dossier Sotchi, défendait les Jeux de son nouvel ami Poutine. Ou plutôt le choix du CIO.

Ce qu'un pays décide de construire à l'occasion des Jeux ne regarde que lui, dit Killy. Les Russes ont décidé de fabriquer un nouveau Sotchi: c'est leur affaire. Dans l'état actuel de la «démocratie» russe, c'est un peu court. Poutine, un nostalgique de la grandeur soviétique, en a décidé ainsi, point. Et tant pis pour le prix humain, écologique ou financier.

Comme il a décidé de construire une piste de Formule 1 ici même, comme il a obtenu la Coupe du monde de soccer en 2018...

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Des navires croisent au loin. Des hélicoptères patrouillent. Des lance-roquettes sont installés en montagne. On nous dit que des drones survolent les environs. La circulation est strictement réglementée.

À deux jours de l'ouverture, les contrôleurs sont d'excellente humeur et la sécurité ne pèse pas encore trop sur les déplacements.

Mais comme dirait le poseur de tapis de mon hôtel: les Jeux sont encore loin d'être commencés.