Michel Arsenault se révèle un témoin pas mal plus coriace que la commission Charbonneau ne l'avait anticipé. Jusqu'ici, il domine la scène totalement.

On ne comprend pas trop la stratégie agressive de la procureure en chef, Me Sonia Lebel. Elle semble lui reprocher d'avoir été complaisant envers les gens de la FTQ-Construction... dont tous les dossiers ont été bloqués.

Les écoutes électroniques d'hier révèlent un Arsenault très politique, sans doute. Mais on ne le voit nullement mêlé aux malversations des gens de la FTQ-Construction.

On le voit manoeuvrer pour gagner du temps avec Jocelyn Dupuis, acoquiné avec le crime organisé. Il ne le prend jamais à rebrousse-poil. À la fin, cependant, il montre clairement ses couleurs: pas question que le Fonds FTQ mette de l'argent dans une entreprise dirigée par un boss de la mafia - Raynald Desjardins. Cette entreprise, Carboneutre, dont le procédé de décontamination était véritablement efficace, a finalement été financée... par Investissement Québec.

Pendant de longues minutes, Me Lebel a tenté de lui faire dire qu'il avait le pouvoir de bloquer ou de faire avancer un dossier. Comment se fait-il que Dupuis faisait pression sur lui sans arrêt? Il devait bien lui prêter un pouvoir...

La réponse est assez simple: évidemment qu'en tant que président de la FTQ, président du conseil du Fonds et membre du comité exécutif du Fonds, qui examine tous les dossiers, il avait du pouvoir. Évidemment qu'il recevait des pressions de toutes parts.

Au bout du compte, a-t-il fait passer des dossiers impliquant le crime organisé? Non. La longue séquence de questions de la procureure a fini en queue de poisson.

«C'est quoi que vous voulez savoir? Ça fait deux heures que vous me torturez avec un dossier qu'on a refusé, demandez-moi-le, ce que vous voulez savoir, je vais vous le dire!»

Arsenault a dit que le président de la FTQ n'est qu'un «animateur», qui n'a aucun pouvoir formel sur ses affiliés. Il doit les convaincre, pas leur donner des ordres. Il a expliqué qu'il craignait de perdre carrément la FTQ-Construction s'il prenait ses dirigeants de front. Il faisait donc de la politique.

Le même politicien syndical a surtout eu peur de l'impact médiatique, quand il a pris connaissance des notes de frais apparemment frauduleuses du directeur de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis. Au lieu de remercier Ken Pereira, il l'a mis à l'écart. Au lieu de dénoncer Dupuis, qu'il savait très puissant, il l'a gentiment convaincu de partir. Tout ça est éminemment critiquable. Mais à la fin, il faut bien reconnaître que Dupuis, et même son douteux patron Jean Lavallée, sont partis trois semaines après qu'Arsenault a su - et que les médias ont été alertés. On n'ira pas loin avec ça.

L'ancien syndicaliste a été relativement candide en décrivant la relation délicate entre un président de la FTQ et ses affiliés, et la difficulté de manoeuvrer entre les «gangs» opposés.

L'ancien président de la FTQ est donc sorti intact de sa première journée de témoignage, même s'il avait deux procureures impatientes sur le dos. La commissaire Charbonneau a parfois beaucoup de difficulté, en effet, à se retenir de renchérir sur les questions de la procureure en chef. Ça met parfois du piment. Sauf qu'à la longue, ça risque de créer une impression de déséquilibre. Pour ne pas dire de partialité.

Est-ce seulement efficace, ce ton agressif que rien ne justifie après quelques heures de témoignage? Quand une procureure en chef se permet de claquer des doigts pour attirer l'attention du témoin, comme si c'était son animal de compagnie, il me semble que les commissaires devraient la rappeler à l'ordre...

Arsenault a reconnu que le président du C.A. du Fonds ne devrait pas nécessairement être le président de la FTQ. Il demeure convaincu que la majorité des sièges doivent être détenus par des syndiqués. Ça se discute. Mais il a très bien défendu son point de vue: le Fonds, c'est du «capital patient». D'autres fonds de travailleurs se sont royalement plantés ou laissés tenter par des produits spéculatifs. L'âme du Fonds est liée à une certaine vision de l'investissement et des relations de travail.

La Commission n'a pas pu embarrasser Arsenault hier: les dossiers toxiques étaient le fait du tandem Dupuis-Lavallée; ils ont été bloqués, ou sont sortis. Il a raison de dire également qu'il y aurait beaucoup de questions difficiles à poser aux «vrais» banquiers, pour certains investissements douteux des années 2000!

La suite risque d'être pas mal moins facile. Il sera moins question de crime organisé, et pas mal plus des liens incestueux entre le Fonds, la FTQ et Tony Accurso, bien au-delà du bateau.

Michel Arsenault risque de trouver la partie moins facile.