Après le buffet mafieux à volonté, la place fortifiée à sécurité maximum?

On peut se demander, en effet, si Montréal ne risque pas de suffoquer sous la surveillance interne et la multiplication des surveillants, qu'on nous promet plus zélés que jamais.

On apprenait hier sous la plume du collègue Denis Lessard que l'administration Coderre se dispute avec le gouvernement du Québec au sujet du poste d'inspecteur général promis par le nouveau maire.

Au départ, l'idée est séduisante. Un super-flic rompu aux rouages de l'administration et des techniques d'enquête irait mettre son nez dans tous les contrats de la Ville pour y débusquer la collusion entre entrepreneurs, et peut-être la corruption.

Pour un fin limier, il y a en effet des signes qui ne mentent pas, comme des trottoirs deux fois trop chers, ou des surveillants de chantier trop bronzés qui jouent trop au golf avec Vito Rizzuto.

Faisons tout de même un bref inventaire des instances de surveillance actuelles à la Ville de Montréal.

1) En premier lieu, il y a un vérificateur général. Il est indépendant de la mairie et enquête sur toute l'administration. Il s'occupe de vérification financière, mais est aussi chargé de vérifier «la conformité des opérations aux lois». C'est le vérificateur qui a critiqué sévèrement l'administration dans plusieurs dossiers douteux, notamment les compteurs d'eau (le plus gros contrat de l'histoire de la Ville) et le Faubourg Contrecoeur.

On lui a également confié une «ligne éthique» pour recueillir les dénonciations de toutes sortes au sein de l'administration. Il lui est arrivé de refiler des informations à la police quand il y avait des soupçons de corruption.

2) La Ville compte également un «contrôleur général». Que fait-il?

Il doit «assurer l'existence et l'efficacité des contrôles nécessaires à la saine gestion et l'utilisation des fonds publics, des ressources internes et des actifs de la Ville, et ce, en conformité avec les lois, règlements et encadrements en vigueur».

Il assure aussi «une vigie corporative sur l'organisation en vue d'appuyer l'administration dans sa gouvernance» et fait la promotion d'un «comportement éthique et [du] respect des valeurs de l'organisation».

Bref, il est censé faire pas mal ce que ferait un inspecteur général: surveiller sur le terrain la bonne gestion et l'intégrité.

Il n'a pas l'indépendance du VG, mais ses pouvoirs sont importants.

Viennent ensuite les structures policières.

3) Dans la panique de l'hiver dernier, l'ex-maire Applebaum a créé l'EPIM (Escouade de protection de l'intégrité municipale).

Ce sont donc des enquêteurs qui devraient arrêter des gens. Le mandat de l'EPIM? «Assurer la protection de l'intégrité administrative de la Ville de Montréal, notamment dans le cadre des processus d'octroi de contrats.»

Ce n'est pas tout: l'EPIM «travaille également à l'instauration de mécanismes de prévention et de détection des stratagèmes et des failles qui viennent entacher les processus d'attribution des contrats».

4) La semaine dernière, l'EPIM a été intégrée à l'Unité permanente anticorruption. Celle-ci compte plus de 300 employés et ne fait pas que des enquêtes et des arrestations. Elle a une mission de prévention pour apprendre aux fonctionnaires et aux élus à «détecter les stratagèmes» de corruption.

Eh, y en a comme jamais, des gens fous d'éthique dans cette ville, mesdames et messieurs!

Faut-il en plus un inspecteur général?

Peut-être, mais...

L'inspecteur aurait plus de pouvoir que le vérificateur; comme celui du gouvernement, ou le directeur général des élections, il pourrait convoquer un témoin et le contraindre à déposer sous serment. Il aurait plus d'indépendance que le contrôleur, vu qu'il serait nommé pour cinq ans par les deux tiers du conseil municipal. Ce ne serait ni un pur policier, ni un simple analyste... Il serait là pour détecter et dénoncer, si on comprend bien - car Denis Coderre a été très vague quant aux détails.

Dans l'état de maladie et d'affaiblissement où se trouve la Ville de Montréal, on est tenté de dire qu'il faut un remède extraordinaire et durable. Je ne suis pas absolument contre. Ni extraordinairement pour, ce matin.

Avant de créer une sorte de super-commissaire à l'intégrité, sans aucun équivalent au Canada, il va falloir clarifier ce qu'il fera que les autres ne font pas déjà. L'hypervigilance maniaque et la concurrence entre les agences de surveillance, les luttes de pouvoir entre enquêteurs, policiers ou autres (un grand classique), tout ça n'est pas vraiment indispensable...

J'avoue, on n'a pas connu beaucoup d'excès d'hypervigilance à Montréal, ces dernières années. Encore faut-il bien structurer la surveillance.

Autrement dit, le moment est venu pour Denis Coderre de préciser exactement le rôle de son inspecteur, l'étendue de ses pouvoirs... et sa pertinence.

yves.boisvert@lapresse.ca