Ils ont fini par trouver un nom un peu compliqué, mais quelle importance, au fond?

Un petit effort, mesdames et messieurs. Ce n'est pas si long, dire «Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État ainsi que d'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d'accommodement ainsi que quelques ratons laveurs».

Que dit-elle, la Cavlnreeefheda?

Elle répète ce qui existe déjà dans notre droit sans la moindre ambiguïté: un accommodement demandé à un employeur pour des raisons religieuses ne doit pas imposer de contraintes ou de coûts excessifs, ne pas compromettre la santé ou la sécurité et respecter l'égalité hommes-femmes.

Y a-t-il des votes contre? Non? Bon, on continue.

La Cavlnreeefheda dit aussi que des absences pour cause religieuse doivent être équitables, si possible compensées par une contrepartie (changement d'horaire, etc.), ne pas aller à l'encontre du régime pédagogique s'il s'agit d'un élève.

Y a-t-il à redire vraiment? Non?

OK. Quoi d'autre?

L'obligation d'avoir le visage découvert pour donner ou recevoir un service de l'État, sauf exception médicale. L'interdiction de tenter de convertir les gens à sa religion pendant les heures de bureau et l'obligation de réserve.

Je n'entends pas beaucoup de protestations jusqu'ici. C'est bien parti!

Que reste-t-il donc? Il reste les voiles, les turbans, les kippas et (s'il y en a encore) les croix géantes. Bref, ces vêtements, bijoux ou parures «marquant ostensiblement, par [leur] caractère démonstratif, une appartenance religieuse».

Il n'y a que ça, mais il y a tout ça qui est contentieux politiquement et juridiquement.

On sait que si cette interdiction était limitée aux policiers, juges, agents de la paix, gardiens de prison, la loi pourrait être adoptée à l'unanimité. Telle n'est ostensiblement pas l'intention du gouvernement Marois.

Ce projet de loi sera battu et restera donc exactement cela: un projet. Et pas une Cavlnreeefheda.

Si jamais ce projet devenait une loi, que lui arriverait-il? Elle crèverait la bouche ouverte dès qu'elle rencontrerait un juge.

Ce n'est pas moi qui le dis, c'est la Commission des droits de la personne du Québec, dans son avis basé sur le document de discussion du ministre Bernard Drainville.

Le texte de loi ne fait que codifier les principes émis en septembre. Il ne fournit aucune porte de sortie juridique supplémentaire. Au contraire, il supprime le droit de retrait des municipalités et des organismes. Il accorde simplement une période de transition, de un à cinq ans, neuf au maximum. La permission de prolonger la «période de transition» sera fondée entre autres sur l'historique de l'établissement et l'impact sur sa mission de l'application des règles. Donc, l'hôpital juif pourrait être exempté plus longtemps que le CUSM? Et le médecin avec une kippa, ou la spécialiste avec un hijab, pourrait le porter dans un établissement et pas dans l'autre?

Quoi qu'il en soit, ces exceptions seraient temporaires (bien que le ministre laisse flotter un flou sur la possibilité de renouveler cette période indéfiniment).

Les fournisseurs de l'État, donc l'entreprise privée, seraient également affectés, selon «les circonstances».

Bref, le texte de loi est plus dur que le document de discussion.

Quiconque a lu les décisions des tribunaux en la matière sait que des interdictions aussi générales ne «passent pas le test» de la Charte des droits - ni la québécoise, que le projet veut modifier d'ailleurs, ni la canadienne.

Pourquoi? Parce qu'on ne limite pas les droits fondamentaux sans raison valable. L'expression vestimentaire de ses convictions n'est pas du «prosélytisme», c'est un droit fondamental. On peut le limiter, bien sûr, rien n'est absolu. Mais pour limiter un droit, il faut des raisons «urgentes et réelles». Pas seulement une vague inquiétude et des «discussions avec les citoyens».

Les droits fondamentaux des minorités ne se négocient pas à coups de consultation sur l'internet, ni même de sondage scientifique.

Au fait, quelles seraient les conséquences d'un manquement? Une «discussion» la première, avant l'imposition de «mesures disciplinaires». Lesquelles? Mystère. On nous renvoie au pouvoir du ministre de faire un règlement.

On peut ne pas aimer ces décisions des tribunaux, on peut taper du pied en disant que les juges ont dérivé sur le radeau de la Charte, que c'est le «gouvernement des juges»: c'est ce que disent les conservateurs depuis longtemps.

Mais tel est l'état actuel du droit au Québec: ça va beaucoup trop loin sans raison valable.

Maintenant qu'on a un texte juridique, j'attends donc que le dossier passe entre les mains de notre excellent ministre de la Justice, Bertrand St-Arnaud. Je comprends qu'il ne veuille pas publier les avis négatifs de ses juristes - les gouvernements tiennent à la confidentialité des avis internes.

Mais j'attends une démonstration juridique solide de la validité de ce projet de loi. Une argumentation qui soit basée sur les décisions des tribunaux et les textes de loi. Pas sur des opinions politiques, sociologiques ou recueillies par courriel.

Si le ministre de la Justice ne défend pas la raison juridique et l'état de droit, qui le fera?