Au milieu des citrouilles, du vaisseau fantôme et de la fumée artificielle du décor d'Halloween de l'hôtel de ville, David Lemelin attend les journalistes.

Lugubre ambiance pour le seul véritable opposant de Régis Labeaume depuis huit ans - si l'on exclut quelques zombies politiques.

De toute évidence, l'homme en a marre de se faire dire qu'il perdra assurément. Plus marre encore de l'image «folklorique et amusante» que s'est faite Labeaume.

«Moi, je ne le trouve pas drôle. C'est un politicien grossier, rude, qui méprise toutes les opinions divergentes. J'ai honte quand je l'entends parler! Il est à la démocratie ce que le fast-food est à l'alimentation.»

Lemelin, 40 ans, a été recruté par divers opposants au maire après avoir écrit un livre qui dénonçait la «dictature amicale» du maire de Québec, en 2011. Un livre qui ne révélait aucun scandale, mais qui insistait sur les côtés détestables du style Labeaume: impatient, colérique, incapable de supporter la critique en public.

Nouveau en politique, il a tâté du journalisme, de l'animation et de l'humour politique sur YouTube (dont le collectif Prenez garde aux chiens, qui s'est notamment payé la tête du maire Labeaume). Il gagne sa vie comme responsable des communications de la Fédération des comités de parents du Québec, d'où il a pris un congé, le temps d'une campagne.

Vendredi, donc, il attendait les journalistes avec une pétition de 6531 noms de gens qui affirment «rêver» de prendre l'autobus dans un système de transport efficace à Québec.

Dans l'unique débat qu'a accepté Régis Labeaume, le maire avait dit douter qu'on puisse trouver "100 personnes» qui rêvent de laisser leur automobile pour prendre l'autobus. Un élève de cégep a voulu prouver le contraire, et trois jours plus tard, Lemelin allait déposer sa pétition.

On s'accroche à ce qu'on peut, quand on se bat contre un des politiciens les plus populaires au Québec.

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Labeaume, pourtant, sur papier, n'est pas un anti-bus. Le Plan de mobilité très élaboré qu'il a présenté parle de voies réservées et même de tramways - une idée qu'il repoussait comme farfelue il y a quatre ans, même pour l'étudier. L'étude est en cours. Labeaume voudrait que ce tramway circule dans les quartiers "dévitalisés", pour stimuler leur redéveloppement. Lemelin veut au contraire que ce transport coûteux passe là où il y a déjà beaucoup de clients potentiels. Tout le monde s'entend pour faire payer les milliards par le gouvernement...

En campagne, pourtant, Labeaume s'habille en défenseur de l'auto: élargissement d'autoroute et de rue, plus de parking au centre-ville... Truc pour plaire aux radios? Pas du tout, dit-il.

«L'idée qu'on va contraindre les gens à prendre l'autobus avec des voies réservées, c'est complètement capoté, c'est fou, fou, fou. Tu vas les convaincre pour des raisons économiques! Restreins les automobilistes, écoeure-les, pis demande-leur de voter pour toi pour faire un tramway. Hey! Allô la Terre, stie, ça marche pas!»

Du Labeaume pur jus.

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Pour Lemelin, cette supposée "révolution", ce "référendum" sur les conditions de travail des syndiqués, est contre-productive, démotive les employés et masque les vrais problèmes économiques.

«Renflouer les caisses de retraite, ça coûte beaucoup moins cher que le service de la dette (20% du budget); et sous Régis Labeaume, la dette de la Ville de Québec a augmenté de plus 500 millions. On rit de Montréal, mais par habitant, Québec est plus endetté.»

Cet endettement est dû aux investissements massifs dans les infrastructures, la plus célèbre étant évidemment le nouvel amphithéâtre.

De 45 millions, la part de la Ville est passée à 116 millions, même à près de 150 millions en comptant les frais.

«Pour avoir un amphithéâtre de 400 millions, je trouve que c'est un bon deal!», réplique Labeaume. Je demande au maire si une équipe de hockey apportera des retombées suffisantes - si un jour elle arrive. Oh! Il est piqué. «On peut-tu vivre notre sport national comme on veut? Vous vivez votre orchestre symphonique, c'est parfait, j'ai pas de problème avec ça, mais arrêtez de nous écoeurer avec l'aréna.»

Les retombées seront essentiellement culturelles, dit-il: Québecor y fera de la production.

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Lemelin reproche au maire d'intimider tous les opposants, à commencer par ses propres conseillers, qu'il «traite comme des plantes vertes». Quand ce n'est pas le monde des affaires et le milieu communautaire, où certains affirment avoir peur de s'afficher publiquement contre lui.

Dans les médias, les critiques robustes sont rares. Labeaume affirme que ses relations sont meilleures avec les journalistes - pas tant que ça, d'après mes sources.

«Les médias me gardent dans mon personnage. Y veulent pas que je devienne quelqu'un d'autre. Je vais être payant comme ça dans la guerre des unes. Ça a l'air de rien, mais ça m'arrive de sourire!

«Je valorise l'intelligence, alors quand je vois une question cave [d'un journaliste], j'ai envie de tuer! Mais j'ai fini par comprendre. Y font leur métier, ils essaient de me pomper...»

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Régis Labeaume sera réélu, probablement avec plus de deux tiers d'appui, ce qui confirmera sa position politique dominante.

Mais cette fois-ci, un semblant d'opposition s'organise. Lemelin tente de se faire élire avec un colistier; un vieux routier, l'ancien maire de Sillery Paul Shoiry, a de bonnes chances localement; d'ex-conseillers de Labeaume se sont joints à Lemelin.

Bref, de la «dictature amicale», Québec passera peut-être à la démocratie acrimonieuse...