Calé dans le sofa d'un salon de l'hôtel de ville, le maire de Québec cause révolution sans rire et sans complexe.

- Une révolution?

- Ça me tente.

Régis Labeaume l'a annoncé autant comme autant: cette élection est "référendaire". Un référendum qui pourrait avoir des conséquences politiques bien au-delà de sa ville.

«Si ça marche ici, y a du monde à Montréal qui est mieux de se réveiller. Quand ils vont voir la facture qui s'en vient, y vont faire un maudit saut!

«Mais Montréal va faire comme d'habitude: ils vont demander au gouvernement de renflouer...»

Personne ne semble s'en soucier parmi les candidats montréalais, mais les caisses de retraite des employés municipaux sont dans un état catastrophique. Les villes du Québec avaient accumulé un déficit de 3 milliards en 2010. Il est passé à... 5 milliards deux ans plus tard.

Qui va payer les chèques des retraités?

Régis Labeaume a décidé que la solution passait par une contribution supplémentaire des fonctionnaires.

Il demande une diminution de 6% des avantages sociaux et une demi-heure de travail de plus par jour.

«C'est même pas compliqué", dit-il avec le ton de celui qui énonce une évidence scientifique.

Au contraire, ça paraît très compliqué. Les cols blancs ont voté pour la grève. La convention des cols bleus est échue depuis trois ans, celle des pompiers depuis six ans. La Ville est ensevelie sous les poursuites en relations de travail, quand ce n'est pas le maire qui est accusé d'atteinte à la réputation des syndiqués ou de manoeuvre de négociation illégale.

«Les syndicats veulent pas que je parle du plus gros problème de Québec pendant la campagne électorale? Ils m'accusent de négocier de mauvaise foi! Allô? Je suis en dé-mô-cra-tie. T'es-tu en train de me dire que les lois du travail interfèrent avec les élections?

«Eux, y ont le droit de dire n'importe quoi, sortir les gros bras, blasphémer, pis moi, faudrait que je sois un petit oiseau?»

«Je les haïs pas»

Hier, les syndicats ont fait état d'une lettre de menaces anonyme envoyée aux employés municipaux. C'est le genre de climat qu'a créé Régis Labeaume, disent-ils.

- Faites-vous exprès pour prendre tout le monde à rebrousse-poil, monsieur le maire?

- Pfff. C'est la mentalité qu'on a au Québec. Si le monde me traite d'antisyndicaliste, c'est tellement con! Je suis un social-démocrate en colère: je crois en la création de la richesse et sa redistribution, mais au Québec, y en a qui ont oublié le premier bout...

«Je veux juste vous rappeler que les syndicats travaillent pas pour le bien commun. Les salaires des employés des villes sont 34% plus élevés qu'au gouvernement du Québec. On le sait pourquoi: c'est parce que les maires ont aucun rapport de forces. C'est facile de dire oui!

«Aussitôt qu'y en a un qui se lève contre eux autres, c'est toujours la même chose. Les employés souffrent! Ils se font engueuler! ta ta ta... Mais va falloir se lever pareil!

«Je les haïs pas! C'est juste qu'y a plus d'argent pour eux autres! C'est rien que logique, faut qu'ils payent la moitié du déficit. C'est quoi, le problème?

«Ils veulent faire payer ça par le citoyen? Les deux tiers des gens en ont même pas de fonds de retraite, pis ceux qui en ont un, y a personne pour le renflouer!»

Rire aux larmes

À Montréal, les cols bleus ont signé pour une fois sans fracas avec la Ville, on a applaudi la contribution supplémentaire des syndiqués...

«On en rit ici jusqu'aux larmes, c'est un beau frame-up, ç't'affaire-là!»

Ah bon...

Mercredi, quelques milliers de syndiqués ont manifesté à Québec contre le maire.

«Y en a une qui a dit: «Faut pas laisser le maire Labeaume faire ça parce que si y réussit, y a d'autres maires qui vont faire ça.» Elle a tout compris, elle!»

Avec son "référendum", il compte changer le rapport de forces... avec les syndicats... comme avec le gouvernement du Québec.

Le poids politique

À ceux qui le prendraient à la légère, rappelons que l'élection de 2009 était un référendum sur l'amphithéâtre. Jean Charest a avancé sans sourciller 200 millions. Et le PQ a failli imploser sur la question.

Quel parti politique peut dire non à Régis Labeaume?

«C'est pas le tannant à Labeaume qui va se présenter à la table après l'élection; c'est le monde de Québec! Je sais pas si tu le sais, mais c'est très différent.

«Faut utiliser son poids politique. Aux prochaines élections provinciales, quand les candidats vont venir ici, je vais avoir ma liste de questions. C'est quoi, ta réponse? Viens pas nous parler du zoo pis de 56 patentes! C'est ÇA l'affaire.»

Et «l'affaire», c'est tout ce qu'il veut changer dans les lois pour rétablir le rapport de forces avec les syndicats.

La bibitte Labeaume

«Je suis à 80% dans les sondages; si moi je suis assez crétin pour passer à côté du principal problème de Québec, c'est à désespérer de la politique!»

Le Journal de Québec lui accorde "seulement" 67% d'appuis, mais qui dit mieux?

- Toutes les poursuites des syndicats, ça coûte des millions à la Ville...

- Ça coûterait ben plus cher de signer ce qu'ils veulent!

Au débat contre son brave adversaire David Lemelin, les deux ne se sont même pas regardés. On aurait dit une émission de Louise Deschâtelets, mais de mauvaise humeur.

- Pourquoi êtes-vous si agressif? Vous êtes sûr de gagner!

Un bref soupir.

- Je suis intense, moi! Je le sais, les gens me le disent. Ils sont contents que je sois intense quand je vais chercher 200 millions pour l'amphithéâtre, par exemple! La bibitte est comme ça.

Tout le Québec aurait grand intérêt à surveiller de près la bibitte.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca