Brent Tyler et Keith Henderson sont ce qu'on pourrait appeler des agitateurs constitutionnels.

De nos jours, c'est passé de mode. Les luttes constitutionnelles excitent les foules autant que les courses de chevaux sous harnais ou l'Heure des Quilles.

Mais dans le temps, oh, madame, dans le temps! Qu'est-ce qu'on en bouffait! Je vous ramène 20, 25 ans en arrière. Les petits garçons ne rêvaient pas de devenir joueurs de hockey ou double-occupants; ils voulaient être constitutionnalistes! Pour aborder une fille dans les bars, il fallait connaître les articles-clés de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique!

Pendant que la lutte politique faisait rage, les experts en droit constitutionnel s'affrontaient dans des colloques, des journaux, ou devant les tribunaux. L'avocat Guy Bertrand avait demandé aux tribunaux de dire que l'indépendance était illégale, inconstitutionnelle, pour ne pas dire un crime contre l'humanité.

Cela nous a menés, après diverses péripéties, au fameux «Renvoi sur la sécession du Québec», en 1998. La Cour suprême a conclu que le Québec n'a pas de droit à déclarer unilatéralement l'indépendance; mais qu'en cas de majorité claire à une question claire lors d'un référendum sur la souveraineté, le reste du Canada aurait l'obligation de négocier de bonne foi... sans quoi le Québec pourrait faire sécession unilatéralement.

Le Parlement fédéral a adopté ensuite une «Loi de clarification», qui prétendait fixer les règles du jeu si jamais un autre référendum avait lieu. Ottawa en effet avait eu très chaud, le 30 octobre 1995: le Non l'a emporté par 54 288 votes sur 4,7 millions de bulletins. Jusque-là, le fédéral ne s'était pas mêlé de légiférer en la matière. La loi donne à la Chambre des communes le pouvoir d'approuver ou non la question. Le texte laisse entendre que les questions de 1980 et 1995 seraient irrecevables.

À Québec, Lucien Bouchard, furieux, décida de mobiliser les ondes publiques pour la première et dernière fois de sa carrière de premier ministre. Il dénonça violemment cette loi qui subordonnait les décisions de l'Assemblée nationale au Parlement fédéral.

L'opinion publique répliqua par un immense «bof». C'est alors qu'il fit adopter cette loi 99, que presque tout le monde a oubliée. La «Loi sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec».

La loi dit essentiellement que «le peuple québécois détermine seul» son statut politique.

On avait une forme d'indigestion constitutionnelle.

Songez qu'entre 1980 et 1995, le Québec a connu trois référendums (80, 92, 95), l'imposition d'une nouvelle Constitution (82), quatre élections provinciales (81, 85, 89, 94) portant toutes beaucoup sur le sujet, deux accords (Meech 87, Charlottetown 92), des mois de négociations perpétuelles, des échecs (Meech 90, Charlottetown 92)...

Gros menu.

Tyler et Henderson, dès 2001, se sont adressés à la Cour supérieure pour faire déclarer inconstitutionnelle la loi 99. Techniquement, Ottawa n'est pas une partie dans cette affaire: c'est Québec qui est appelé à défendre sa loi. Mais le procureur général du Canada (comme ceux des autres provinces) est «mis en cause», comme gardien de la Constitution. Il aurait pu esquiver, mais selon Paul Wells du Maclean's, les avocats du gouvernement ont estimé devoir prendre position, ce qui devait être fait la semaine dernière.

Est-ce une «attaque frontale», comme dit Pauline Marois? Pas vraiment. On ne voit pas de grande volonté de Stephen Harper de déchaîner les passions constitutionnelles. En fait, le procureur général fédéral y va très mollement. Il demande à la Cour une «interprétation atténuée» de la loi québécoise. Cela reviendrait à en réduire la portée radicalement, mais sans l'invalider carrément. Une sorte d'annulation timide qui ne veut pas dire son nom. Classique et prévisible paternalisme juridique. On voit rarement un État fédéral rendre plus facile la sécession d'un de ses membres...

Québec, de son côté, réplique que la loi n'engage que le gouvernement du Québec et que sans référendum en vue, la question est purement théorique et politique. Cette loi, en somme, n'est qu'une déclaration de principes...

Franchement, la passion n'y est plus.

Ce que tout ceci va changer dans la vraie vie, advenant un autre référendum?

Probablement pas grand-chose. Une sécession est par définition une rupture de l'ordre constitutionnel établi. La Cour suprême n'a pu faire autrement, en 1998, que de constater que ni en droit canadien ni en droit international, il n'y a de droit clair à la déclaration unilatérale d'indépendance pour le Québec. Il y a ceci de très évident, cependant: si le Québec vote pour se séparer, ce n'est pas un jugement de cour qui le retiendra. Le Canada aurait l'obligation de négocier les termes de la séparation.

Quoi qu'on dise du droit de décider «seul» de la question, par ailleurs, la pression serait forte de la rendre acceptable, pour des raisons de «realpolitik».

Londres et Édimbourg se sont entendus sur la question du référendum écossais de 2014, archi-claire: «L'Écosse devrait-elle être un pays indépendant?»

Quant à la majorité claire, à «50% plus 1», c'est une victoire technique, et l'Assemblée nationale n'ira pas exiger davantage par souci exagéré de «fair-play» juridique.

Mais ça part assez mal une négociation aussi délicate. Ça aussi, c'est clair.