1. ACCOMMODEMENT AMÉRICAIN

Le mois dernier, l'entreprise de vêtements à la mode Abercrombie and Fitch a été condamnée par une cour de Californie pour avoir congédié une employée musulmane qui refusait de travailler sans voile.

La jeune femme travaillait à temps partiel dans l'entrepôt et l'employeur n'a pas été capable de démontrer que ce petit accroc au code vestimentaire menaçait sa rentabilité. Un simple accommodement, bien raisonnable, qui n'entraîne aucune contrainte excessive, a dit la juge.

La doctrine des «accommodements raisonnables», ce n'est pas inutile de le rappeler, est une invention du droit du travail américain. Elle a surtout servi à forcer les employeurs à faire une place aux handicapés.

Cette affaire n'est qu'une parmi plusieurs qui sont devant les tribunaux américains actuellement. Et la jurisprudence va dans le sens de cet accommodement.

Les États-Unis seraient-ils une terre de complaisance face à l'extrémisme islamiste? Indifférents aux pratiques discriminatoires de certains religieux qui veulent asservir les femmes musulmanes?

Pas vraiment, non.

Mais voilà, ce pays a été fondé sur le socle de la liberté de religion, pour ainsi dire. Alors quand l'État intervient en la matière, ce n'est pas pour interdire l'expression d'une croyance. C'est pour protéger cette expression.

2. OBAMA ET LE VOILE

Jean Dorion, dans un livre bienfaisant qui vient de paraître 1, cite Barack Obama dans son fameux discours du Caire:

«La liberté, en Amérique, est indissociable de la liberté de pratiquer sa religion. C'est pourquoi le gouvernement des États-Unis est allé devant les tribunaux pour protéger le droit des femmes et des jeunes filles de porter le hijab et punir ceux qui leur refusent ce droit.»

Obama fait référence à une affaire sous l'administration Bush, Nashala Hearn, exclue d'une école pour avoir porté le foulard. Elle a eu gain de cause devant la cour.

Obama ajoutait: «Il est important que les pays occidentaux évitent d'empêcher leurs citoyens musulmans de pratiquer leur religion comme ils le croient approprié, par exemple en dictant quelle sorte de vêtements une femme musulmane doit porter.»

3. PARIZEAU: LA CLÉ

On a ici une des clés pour comprendre la sortie de Jacques Parizeau contre la Charte des valeurs québécoises, dans son état actuel.

Dans La souveraineté du Québec, rappelle M. Dorion, l'ancien premier ministre insistait sur la nécessité pour le Québec de bien affirmer qu'il partage des valeurs démocratiques américaines.

«Il faut rendre impossible le recours à des considérations fondamentales dans l'application de l'Accord de libre-échange nord-américain», écrivait M. Parizeau en 2010.

Autrement, en cas de sécession, le Canada pourrait en effet invoquer une rupture du Québec quant au respect des droits des minorités pour le faire exclure de la zone de libre-échange, avec des conséquences économiques désastreuses.

M. Parizeau est conscient de l'importance capitale pour le Québec de ne pas être, ou même de ne pas donner l'impression d'être un endroit où les minorités ont moins de droits.

Je me demande comment Jean-François Lisée, qui connaît les États-Unis mieux que tous les autres ministres, envisage d'aller expliquer cette "charte", disons, devant un think tank en Californie ou dans une entrevue au New York Times.

4. LE VOILE ET LE SANG

Donc, si je comprends bien, le danger vient du voile. Le voile porté par des femmes dans la fonction publique. Comme, par exemple, ces ingénieures, dentistes, docteures qui, faute de travail dans leur domaine, sont des éducatrices en garderie surqualifiées... et extrêmement appréciées.

Et parce qu'on a peur des extrémistes et des fous de Dieu, des Shafia, on va interdire à toutes (mais aussi aux juifs et aux sikhs) de porter un signe religieux qui jusqu'à hier ne dérangeait personne?

J'ai couvert le procès des Shafia. Le père se considérait comme un musulman "moderne". Ses deux femmes ne portaient généralement pas le voile ni ses filles. Ça ne l'a pas empêché de haïr les femmes et d'en assassiner quatre.

N'en déplaise à celles et ceux qui veulent protéger les musulmanes contre leur gré, le hijab n'est pas toujours «taché de sang».

Ça peut nous paraître incroyable, mais il y a des gens pour qui il a une signification profonde. Comme pour certains juifs, la kippa.

Qui sommes-nous pour prétendre les "libérer" de l'expression de leur foi? Une tentation néo-soviétique de désintoxiquer le peuple de son opium?

Ce que je crains plus que le voile, c'est ce que le discours antivoile est en train de libérer dans ce qui était refoulé. Une sorte de licence du mépris religieux que le Québec ne connaissait pas. On rapporte une augmentation inquiétante du nombre d'incidents de harcèlement, sinon de violence contre des musulmanes, tout d'un coup.

5. LA TRADITION

C'est le travail des services sociaux, de la police et des services de renseignement de protéger les enfants, les femmes et tout le monde contre les abus et les intégrismes. Pas celui de l'État, en établissant un bannissement superficiel, tout à fait exorbitant, du droit en Amérique du Nord, et qui ne changera rien à rien, ne protégera pas une seule fillette nulle part.

«L'État n'est pas en mesure d'agir comme arbitre des dogmes religieux, et il ne devrait pas l'être», a déjà dit notre Cour suprême.

Voilà ce qui est notre tradition juridique de tolérance et de respect des droits fondamentaux, voilà ce que disent Parizeau, Bouchard, Dorion et plein d'autres. Voilà le chemin à suivre.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca