1- Le docteur

Au bout du fil, le Dr Robert Cantu, une des sommités dans le domaine des commotions cérébrales chez les sportifs. Il a disséqué et analysé 150 cerveaux d'athlètes dans des sports de contact.

Ce qu'il a découvert et documenté a servi de base à un recours collectif d'anciens joueurs de football contre la richissime NFL. Les joueurs plaidaient que la ligue a tardé à rendre le jeu plus sécuritaire et à établir des protocoles de retour au jeu, malgré une preuve scientifique écrasante. L'affaire a été réglée cet été pour 765 millions.

Le chercheur de l'Université de Boston, qui traite aussi des joueurs actifs, a analysé le cerveau d'anciens justiciers du hockey. Des gars comme George Parros, le colosse du Canadien qui s'est écrasé le visage sur la glace du Centre Bell mardi.

Presque tous avaient des signes d'encéphalopathie traumatique chronique. En d'autres termes, des lésions permanentes au cerveau qui, dans le meilleur des cas, affectent gravement l'humeur et qui, dans d'autres cas, entraînent des problèmes de mémoire et de pensée.

Son labo a reçu par exemple le cerveau de Derek Boogaard, un bagarreur trouvé mort dans sa chambre à 28 ans, en 2011. Et celui de Bob Probert, participant à 246 combats généralement remportés, et mort dans une sorte de demi-Alzheimer à 45 ans. Son cerveau était dans un état de détérioration avancé.

2- La commotion cachée

Les cas clairs de K.-O. sur la glace comme celui de Parros sont rarissimes, ce qui fait déjà dire à des spécialistes qu'il s'agit d'un «accident isolé» et qu'il ne faut pas s'énerver.

Ils ont tort.

Neuf fois sur dix, une commotion cérébrale n'entraîne pas de perte de conscience. Les commotions sont généralement invisibles.

«Nous avons mené des entrevues avec plusieurs joueurs, et d'après les symptômes qu'ils décrivent, une fois sur quatre, le joueur qui se bat subit une commotion», me dit le médecin. Celui qui livre 20 ou 25 combats en une année endommage son cerveau 5 ou 6 fois.

Pour cette catégorie de joueurs, mieux vaut ne pas en parler au personnel médical, qui enclenchera le protocole. Ces joueurs, encore aujourd'hui, sont souvent dans le hockey professionnel uniquement pour leur talent de «justiciers». Ils ont intérêt à ne pas trop paraître fragiles.

Alors ils encaissent. Se ferment la gueule.

3- L'argent, l'argent

«C'est une honte», dit en résumé le médecin quand je lui parle de la Ligue nationale.

«Nous sommes allés voir Gary Bettman et les dirigeants de la Ligue nationale, l'an dernier, au siège social à New York. Nous leur avons exposé l'état de la science, les preuves des impacts des commotions. Ils savent tout ça. Mais ils ne font rien.

«Ils ne font rien pour des raisons économiques: ce sport a peu de revenus de télé, beaucoup au guichet, et ils calculent que les bagarres rapportent; l'Association des joueurs, par ailleurs, veut protéger les membres qui, sans les bagarres, ne seraient pas là.

«Je n'accepte pas que la Ligue dise qu'elle fait tout pour protéger les joueurs. C'est faux. Elle le sait. Tout le monde le sait. C'est de la pure hypocrisie.»

4- La liberté de mourir

Il y a les vrais amateurs de bagarres, et à en juger par la réaction des foules, ils sont nombreux.

Mais il y a aussi les compagnons de route de la bagarre, ceux qui disent: «Ça se fait entre adultes consentants» ou «Ça finira bien un jour, calmez-vous».

Il suffit de lire la vraie histoire de ces «durs à cuire» pour voir de quels adultes consentants on parle. Allez lire le livre de Mathias Brunet sur Dave Morrissette. Son histoire n'est pas loin de celle de Boogaard, envoyé se battre à 16 ans contre un plus gros que lui, la peur au ventre. Pour se faire une place. Une peur qui ne l'a jamais quitté. C'était son ticket improbable pour la LNH.

«Je ne parlais jamais de mes peurs ou de mes problèmes parce que j'avais une image de tough à entretenir, dit Morrissette. J'avais un statut, je n'aurais jamais pu dire que j'étais écoeuré de me battre.»

Ces bagarreurs ne sont pas des violents au départ, ce sont même souvent les plus sympathiques, les plus aimés. Les autres joueurs savent (un peu) ce qu'il leur en coûte. Ils ont la chienne et ils ont mal partout.

Alors, arrêtez de parler de «combats librement consentis». Ils sont commercialement téléguidés.

Des combats nuls sur le plan sportif. Laids sur le plan esthétique. Et moralement indéfendables.

J'écoute les commentaires d'anciens joueurs et j'ai tout de même l'impression que les choses évoluent tranquillement, pas vite. Vincent Damphousse, Eric Lindros, plein d'autres: ils sont contre les bagarres.

- N'est-ce pas qu'il y a matière à être encouragé, docteur?

- Je ne vois rien d'encourageant par rapport à l'an dernier. La LNH ne veut rien changer. Seules deux choses peuvent mettre fin aux bagarres.

- Lesquelles?

- Une condamnation judiciaire de centaines de millions pour négligence. Ou la mort d'un joueur.