Bombarder la Syrie? À partir de quand a-t-on le droit d'attaquer un pays? Y a-t-il véritablement un «droit d'ingérence» ?

Les cyniques diront qu'il suffit d'en avoir les moyens et les intérêts.

Il y a tout de même un effort international pour dessiner quelques règles qui permettent de limiter ou de punir les massacres.

En gros, quand un crime grave est commis par un État, il est permis de l'attaquer à condition d'avoir l'autorisation d'une autorité internationale. Voilà pour le principe...

Crime grave? Crime contre l'humanité, crime de guerre, génocide, tels que définis dans les traités.

Quant à l'autorité internationale, on pense d'abord au gardien officiel de la paix dans le monde, le Conseil de sécurité de l'ONU. Il peut autoriser les États à prendre «tous les moyens nécessaires» pour rétablir la paix ou empêcher une agression imminente.

En 2011, le Conseil a autorisé les frappes aériennes contre la Libye, pour protéger les civils des attaques de l'armée du général Kadhafi.

Le problème, dans le cas de la Syrie comme dans plusieurs autres cas, c'est que le Conseil est divisé. Il ne faut que l'appui de 9 des 15 membres, mais aussi des 5 membres permanents qui ont un droit de veto. La Russie empêchera toute résolution autorisant l'emploi de la force. Déjà dans le cas de la Libye, la Russie et la Chine avaient dénoncé l'interprétation faite par les Occidentaux de la résolution, qui ne visait en principe qu'à protéger les civils, et qui a mené au renversement du régime.

Les États-Unis, avec d'autres pays, ont obtenu en 1950 l'autorisation du Conseil de sécurité de former une force militaire pour intervenir en Corée: c'était le temps où Moscou boycottait l'organe.

Il est possible de convoquer l'Assemblée générale de l'ONU en invoquant la paralysie du Conseil de sécurité, mais cela suppose des délais.

Où trouver un semblant de légalité aux frappes qui semblent déjà décidées, alors?

Certainement pas dans le précédent de l'invasion de 2003 en Irak, décidée par les Américains, les Britanniques et d'autres sans autorisation de l'ONU, et sous le (faux) prétexte de la sécurité internationale.

Le cas présent ressemble un peu plus à celui du Kosovo, en 1999: des civils sont tués par milliers, des crimes de guerre sont commis (depuis des années dans le cas de l'ex-Yougoslavie), il y a hésitation des pays occidentaux... et impossibilité d'obtenir un mandat militaire du Conseil de sécurité.

C'est donc l'OTAN qui a donné son autorisation, au nom de la sécurité européenne. L'OTAN qui a également donné le feu vert aux États-Unis et aux membres de la coalition pour attaquer l'Afghanistan en 2001: les États-Unis, pays membre, avaient été attaqués et avaient requis le droit d'intervenir au nom de la légitime défense.

Quelle organisation internationale pourrait donc rendre "légale" une intervention militaire en Syrie? Si le Conseil de sécurité de l'ONU est bloqué, que l'Assemblée générale tarde à se réunir et que l'OTAN, cette fois, n'est pas en cause car la Syrie ne menace pas un pays membre, que reste-t-il?

Il reste la force de persuasion morale.

«C'est peut-être illégal, mais c'est légitime», avait dit Madeleine Albright, secrétaire d'État américaine en 1999, à propos des frappes aériennes au Kosovo. Autrement dit, même si l'OTAN autorisait l'opération, elle reconnaissait que la pure légalité était contestable.

C'est ainsi qu'à Washington, à Londres, à Paris, les dirigeants s'activent depuis deux jours pour construire un dossier justifiant moralement les bombardements à venir.

On parle des traités contre l'emploi des armes chimiques, mais il n'est pas dit qu'on puisse bombarder les États coupables. On parle de protection des civils. De légitime défense de la Turquie et d'Israël.

Mais on aura beau analyser les articles de la Charte des Nations unies jusqu'à l'an prochain, on ne peut pas rester à ne rien faire pendant qu'un régime gaze ses civils.

Autrement dit, si la répression de ces crimes de guerre n'est pas "légale", elle est juste.

Est-ce que des bombardements vont changer le cours de la guerre civile? C'est douteux. Est-ce que cela va nous rapprocher de la paix? Peut-être pas. Y a-t-il un espoir de négociation? Il est invisible à l'oeil nu.

Ces frappes ne seront pas vraiment sous le signe de l'espoir, malheureusement.

Elles n'ont qu'un caractère punitif, pour l'instant. Ce sera aussi un avertissement général à tous les autres qui sont tentés d'imiter Bachar al-Assad. Et peut-être - mais seulement peut-être - une façon de ralentir la guerre... dont on ne voit pas la fin.

L'ONU ambitionnait, en 1945, de «préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l'espace d'une vie humaine a infligé à l'humanité d'indicibles souffrances.»

Parfois, une des seules choses un peu justes à faire est de faire la guerre à ceux qui la font.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca