En voyant la police mettre fin au point de presse du président de Rail World, je me suis dit que ce n'est pas des gens de Lac-Mégantic que le président de Rail World a le plus peur.

C'est probablement des enquêteurs qui lui ont fait faire un tour de voiture de police pour l'emmener au poste et lui poser des questions.

Cet homme est difficile à suivre.

Il y a deux jours, son conducteur était »un héros". Hier, tout était de sa faute.

Qui croit encore Edward Burkhardt?

Quelle scène.

Un point de presse annoncé en catastrophe au milieu d'une petite rue barrée d'un ruban de police.

Un peu plus bas est installée une des plus vastes et horribles scènes de crime que le Québec ait connues.

Le président de Rail World est planté là, dos au ruban. Il est devant 25 micros et deux fois plus de journalistes.

Derrière les journalistes, une quinzaine de citoyens crient, le traitent de »rat".

L'homme répond calmement aux questions. Et au bout d'une demi-heure, un policier de la Sûreté du Québec se pointe au micro. M. Burkhardt, président de Rail World et président du conseil de Montreal, Maine&Atlantic, »a accepté de répondre à nos questions".

Le voici donc qui quitte les lieux en compagnie du président de MMA, Bob Grindrod, dans la voiture de police...

Une employée court vers son patron pour lui dire que son avocat ne veut pas qu'il parle aux policiers! Trop tard, il est parti, on lui barre le chemin...

Lundi, au téléphone, Burkhardt disait que si le train était parti tout seul, c'est parce que les pompiers de Nantes avaient éteint les moteurs des locomotives - ce qui aurait désengagé certains freins. Maintenant, on sait qu'un employé de MMA était présent lors de l'opération. Est-il fautif? Son employé ne savait pas, apparemment, qu'on ne devait pas éteindre les moteurs!

Plus étrange encore, deux jours après avoir blanchi le conducteur, il affirme maintenant que celui-ci est le grand responsable. Il aurait »probablement« omis de mettre les freins à main sur les wagons: en plus des locomotives, il faut bloquer plusieurs wagons pour plus de sûreté.

« En fait, je vous dirais que les freins n'étaient probablement pas installés. »

Sur quoi se base-t-il?

Ce n'est pas clair.

Mais comme il blâmait à tort et à travers les pompiers de Nantes, est-il plus crédible en blâmant ses deux employés?

Au fait, s'il n'est pas venu samedi, ni dimanche, ni lundi, ni mardi, c'est qu'il se sentait »plus utile« au siège social (les téléphones cellulaires ne fonctionnaient pas dimanche, voyez-vous) et qu'il ne voulait pas »nuire aux premiers répondants".

Nuire aux premiers répondants! Merci pour la délicatesse, monsieur le président.

J'insiste: l'enquête pour négligence criminelle causant la mort vise sans doute les employés, mais pas seulement. Des questions fondamentales seront posées aux dirigeants.

Quand ils ont commencé à transporter du pétrole, se sont-ils assurés de la qualité des installations? Ont-ils respecté les normes de l'industrie? Quelles mesures de sécurité étaient en place?

L'explosion de la plateforme de BP, dans le golfe du Mexique, en 2010, qui a tué 11 ouvriers et causé une gigantesque marée noire, a coûté 42 milliards à la société, dont 4 milliards en amendes pour divers actes de négligence.

La société avait réduit ses coûts et pris des risques de sécurité. Ça ressemble à une société de chemin de fer que vous connaissez?

BP s'est avouée coupable non seulement de négligence criminelle, mais d'homicides involontaires.

Comprenez-vous pourquoi les avocats de M. Burkhardt ne veulent pas qu'il parle à la police?

Les conséquences juridiques et financières seront potentiellement catastrophiques, des deux côtés de la frontière.

« Je suis venu voir l'assassin de mon fils", disait, à 100 mètres de là, Raymond Lafontaine, l'entrepreneur qui a perdu quatre proches pendant qu'il s'affairait à aider les pompiers avec sa machinerie.

M. Lafontaine n'était pas au point de presse seulement pour émouvoir les médias. Ni s'en prendre à Burkhardt. Il y était surtout pour dire l'absurdité criminelle qui consiste à faire transiter du pétrole en aussi grande quantité avec aussi peu de souci de sécurité.

On fait passer ici, depuis peu, du pétrole tiré du Dakota-du-Nord vers une raffinerie d'Irving au Nouveau-Brunswick. Les bénéfices sont aux deux bouts de la chaîne, les risques, partout entre les deux.

Ces chemins de fer, conçus dans le temps pour le bois, le grain, les bestiaux, sont-ils adaptés au transport massif de pétrole? Pas comme ça!

Alors les raisons de l'absence du président de Rail World, les mesures de sécurité, »c'est juste des menteries", dit-il.

« Je voudrais juste m'asseoir avec lui pour lui dire: dis-moi que tu feras plus jamais ça. Juste ça. C'est peut-être le meilleur gars du monde, je le connais pas. Mais j'ai pas senti sa compassion. »

Moi non plus, j'avoue.