Il n'y a pas tellement de doute qu'on est à la frontière du droit et de la politique, dans cette affaire de registre des armes à feu.

À la frontière? En fait, on est carrément dans le domaine politique, a dit hier la Cour d'appel du Québec.

Décider si l'on doit ou non enregistrer toutes les armes d'épaule, si la chose est opportune ou efficace, cela n'est pas le travail des juges, a dit en substance le plus haut tribunal au Québec. La question est «essentiellement politique». Il n'y a donc pas moyen d'empêcher par un jugement la destruction de ce registre.

Une Cour d'appel qui avait sorti ses gros canons, pour ainsi dire: la juge en chef Nicole Duval Hesler, qui a pris la plume, avait convoqué une formation de cinq juges (au lieu des trois habituels). Ceux-là comptent parmi les plus réputés de sa cour.

Le noeud de l'affaire est assez simple, dit la juge en chef: il est difficile d'imaginer que le Parlement fédéral n'a pas le pouvoir de défaire ce qu'il a fait.

Quand des provinces de l'Ouest ont contesté la constitutionnalité du registre, créé en 1995, la Cour suprême a confirmé le droit du fédéral de le mettre sur pied: cela relève de la compétence en matière de droit criminel, a-t-elle tranché.

Dix-sept ans plus tard, le gouvernement fédéral pouvait donc défaire ce qu'il avait le droit de faire.

La logique est implacable.

Le hic, c'est que le gouvernement Harper ne s'est pas contenté de ne plus tenir de registre pour les armes d'épaule (il existe encore pour les autres armes). Il a ordonné sa destruction.

Encore là, on peut détruire ce qu'on avait le droit de construire, n'est-ce pas?

Ça dépend. Ottawa a reconnu devant la Cour que le gouvernement du Québec a le droit de confectionner son propre registre. Si Québec a le droit de le faire et qu'il veut simplement récupérer les données qui existent déjà, les détruire ne constitue-t-il pas une forme d'abus de droit?

Autrement dit, ce n'est pas le droit du gouvernement fédéral de ne plus continuer à tenir un registre qui est en cause. C'est sa volonté très ciblée de nuire à la confection d'un registre provincial constitutionnellement valide.

En analysant la constitutionnalité d'une loi, il faut en déterminer le «caractère véritable». Dans ce cas-ci, la loi portait sur l'abolition d'une partie du registre. Mais l'article sur la destruction des données allait plus loin et outrepassait le pouvoir fédéral; il avait pour but de nuire au projet de Québec, avait conclu le premier juge.

«Il rebute au sens commun, pour ne pas dire au bien commun, que l'on puisse empêcher le Québec d'utiliser les données qu'il participe à colliger, analyser, organiser et modifier», avait écrit le juge Marc-André Blanchard, de la Cour supérieure, en donnant raison à Québec l'an dernier.

La Cour d'appel le reprend sur ce point technique: la participation du Québec au registre est purement technique; un employé de la Sûreté du Québec agit comme «contrôleur» des permis, mais en vertu de la loi fédérale; ce rôle, par ailleurs, ne concerne que les permis des individus, pas l'enregistrement des armes, qui relève d'un «Directeur de l'enregistrement».

En somme, même en invoquant le fédéralisme coopératif, Québec ne peut prétendre à un quelconque droit d'appropriation sur ce registre.

Même si c'est de mauvaise foi? Même si c'est par rigidité idéologique? Ça ne change rien: le droit de faire comporte celui de défaire et les tribunaux n'ont pas à scruter les motifs de cette décision.

Le jugement tient donc une ligne classique et prudente qui consiste à s'écarter du débat en apparence purement politique. Elle écarte donc l'interprétation plus audacieuse et innovatrice du juge Blanchard.

Dommage, à mon avis. Mais on aura fort à faire pour convaincre la Cour suprême de casser ce jugement unanime qui pèse de tout son poids du côté de la retenue judiciaire.

De toute manière, si la mauvaise foi du gouvernement Harper dans ce dossier n'est pas illégale, elle n'en est pas moins répugnante.

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