Ce n'est pas encore «le» jugement qui légalise le mariage gai aux États-Unis. Mais c'est tout comme. La majorité des juges de la Cour suprême a annoncé assez clairement où elle loge.

En pratique, le mariage entre conjoints de même sexe sera permis dans 13 États représentant le tiers de la population américaine. Le mouvement est irréversible.

Les sondages montrent un appui majoritaire au mariage gai, le président Obama y est favorable, et la Cour suprême aussi - même si c'est de justesse.

C'est fou comme ce dossier a évolué rapidement. En 1996, quand certains groupes commencent à réclamer le droit de se marier pour les gais, le Congrès américain fait adopter une «loi sur la défense du mariage». On y réaffirme que le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, point.

La loi a été adoptée sans difficulté par une majorité écrasante et signée par Bill Clinton. À l'époque, le mariage gai n'existait nulle part et il n'était même pas sur le radar politique.

Depuis, quelques pays l'ont légalisé, ainsi qu'une douzaine d'États américains.

Le problème, c'est que la loi fédérale de 1996, si elle n'interdit pas aux États d'avoir leur propre définition du mariage, empêche les couples gais de bénéficier de plusieurs lois fédérales qui s'appliquent aux personnes mariées.

C'était le cas d'Edith Windsor, qui a dû payer 360 000$ d'impôt sur l'héritage de son épouse. Les héritages entre conjoints mariés sont pourtant exempts d'impôt... à condition que ce soit un mariage valide du point de vue du droit fédéral américain.

Mme Windsor a contesté la loi en raison de son caractère discriminatoire et a eu gain de cause. La décision a été confirmée en appel, et entre-temps, le président Obama a annoncé que le gouvernement ne défendrait plus la loi.

Normalement, la cause était terminée: il n'y avait plus de litige entre Windsor et le gouvernement.

Mais l'administration Obama voulait obtenir un jugement de la Cour suprême pour faire invalider sa propre loi. Il l'a obtenu hier, quand le juge du milieu, Anthony Kennedy, s'est rangé avec les quatre juges dits «progressistes» de cette cour si profondément divisée.

Le seul objectif de cette loi est de brimer les droits des couples de même sexe, écrit le juge Kennedy. Comment accepter que les gens légalement mariés dans l'État de New York (ou mariés au Canada, comme Mme Windsor) ne jouissent pas de la même protection juridique?

Par-delà l'impact fiscal, cette discrimination touche 1000 lois: il serait interdit de se faire enterrer dans un cimetière militaire, d'être considéré comme une victime au même titre qu'un «vrai» conjoint dans certaines lois criminelles, d'avoir certains bénéfices de l'assurance maladie fédérale, etc.

La loi sur la défense du mariage «dit à ces couples, et au monde entier, que leur mariage par ailleurs valide n'est pas digne d'une reconnaissance fédérale». Et cela «humilie des dizaines de milliers d'enfants qui grandissent dans des unions homosexuelles».

Le leader de l'aile conservatrice de la Cour suprême, Antonin Scalia, était à nouveau furibond dans le jugement dissident qu'il a rendu hier. Pour lui, la majorité s'est emparée d'une cause qui n'aurait même pas dû être entendue. C'est donc un jugement politique qui a de quoi «vous faire décrocher la mâchoire», dit-il.

Il a raison sur au moins un point: les cinq juges de la majorité étaient «impatients, voire affamés», de crier son opinion sur le sujet.

Dans l'affaire Windsor, et dans celle de la Californie, en vérité, le débat n'a pas tellement porté sur le droit du gouvernement d'interdire le mariage gai. La question était plutôt de savoir... si la Cour devait entendre ou non ces affaires. Et la majorité voulait se prononcer sur la loi fédérale.

Les juges se sont lancés dans de longues analyses sur le pouvoir constitutionnel de la Cour d'entendre une cause... pour trouver le moyen de se prononcer - ou, au contraire, d'éviter de le faire.

Dans la deuxième cause, celle de Californie, la Cour suprême s'est trouvée à légaliser le mariage gai... en concluant qu'elle ne devait pas entendre l'appel. Un jugement purement technique aux conséquences néanmoins colossales.

Après un référendum en 2008, la Californie avait interdit le mariage gai. Un couple homosexuel a contesté avec succès la légalité de cette interdiction devant un premier juge. L'État a décidé de ne pas en appeler. Un groupe de pression (qui était derrière le référendum) voulait plaider la cause en Cour suprême, mais la majorité, hétéroclite cette fois, a conclu qu'il n'y avait plus de litige, donc pas question d'entendre l'affaire.

Le judiciaire a beau être hyper politisé, du moins les juges Scalia et Roberts ont été cohérents: ils n'auraient pas entendu cette cause non plus, même si ce refus avait pour effet de favoriser le mariage gai.

Le mouvement social est irréversible; le débat judiciaire, lui, va continuer: 40 ans après «Roe contre Wade», le débat sur l'avortement reprend régulièrement devant les tribunaux américains.

C'est une spécialité américaine.

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