Est-ce donc si facile, de nos jours, d'échapper à la justice en plaidant la folie passagère? Cathie Gauthier n'est pas de cet avis-là, je crois bien.

Est-ce donc si facile, de nos jours, d'échapper à la justice en plaidant la folie passagère?

Cathie Gauthier n'est pas de cet avis-là, je crois bien. Hier, cette femme de Saguenay s'est fait dire par la Cour suprême que sa condamnation à perpétuité, 25 ans minimum, est valide.

Cette jeune mère a été déclarée coupable du meurtre de ses trois enfants, Joëlle, 12 ans, Marc-Ange, 7 ans, et Louis-Phillipe, 4 ans. Les trois sont morts d'une surdose de médicaments le 31 décembre 2008.

Elle et son mari, désespérés de leur situation, avaient décidé de ne «pas commencer 2009». Trois jours avant le meurtre, elle avait obtenu des somnifères même si son ordonnance n'était pas renouvelable: ils allaient «partir en voyage».

Ensemble, ils ont rédigé des lettres d'adieux et un testament. Elle a écrit des lettres que lui a dictées son mari, Marc Laliberté. L'homme était profondément dépressif.

Le lendemain, c'est Cathie Gauthier qui a appelé le 9-1-1. Les enfants et son mari étaient morts. Elle avait survécu à ses somnifères et à ses coupures au poignet. Elle a immédiatement parlé d'un «pacte».

Dans les jours qui ont suivi, elle a minimisé son rôle. Au procès, elle a dit au jury qu'elle n'avait pas participé au meurtre, qu'elle ne savait pas comment les enfants avaient été empoisonnés, qu'elle avait dit à Laliberté qu'elle refusait le pacte.

Tout ceci était contredit par ses déclarations, mais surtout par ses actes: ses lettres décrivaient comment ils s'y prendraient pour «emmener avec eux» leurs enfants. Et elle avait écrit les lettres dictées par Laliberté...

Elle a donc fait venir à la barre un psychiatre. Celui-ci a affirmé qu'elle n'était pas consciente au moment de faire ces écrits, qu'elle «flottait au-dessus de son corps», souffrant de «dissociation».

Elle ne plaidait pas pour autant les «troubles mentaux». Simplement, elle voulait soulever un doute sur son intention criminelle: elle n'a jamais voulu les tuer. Les médicaments n'étaient pas destinés à ça, disait-elle, et les lettres, elle n'en avait aucun souvenir.

Bizarrement, elle voulait plaider en même temps qu'elle avait renoncé au pacte.

Le juge du procès a dit à son avocat de choisir: ou bien elle n'a pas fait partie du pacte et n'en savait rien, ou bien elle en a fait partie, mais a changé d'idée en cours de route. Le juge a refusé qu'elle plaide la «renonciation».

Cette limitation de la défense a mené l'affaire jusqu'en Cour suprême. Et hier, à six juges contre un, le plus haut tribunal a donné raison au juge.

Pas tant à cause de l'incompatibilité des défenses qu'à cause de l'invraisemblance de la renonciation. Il aurait fallu des indices concrets. Un archer qui lance une flèche ne peut «renoncer» une fois la flèche partie, écrit le juge Richard Wagner. Cela s'appelle des regrets. Trop tard.

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Ce n'est pas une cause de «troubles mentaux», donc. C'est néanmoins une cause où l'on a fait appel à la psychiatrie pour échapper à la responsabilité criminelle. Il n'y a rien de nouveau ici. J'ai couvert je ne sais plus combien de procès où l'accusé, de toute évidence coupable, plaidait le classique black-out. Il se trouvait toujours un psychiatre pour nous en expliquer les tenants et les aboutissants. Le taux de succès est à peu près nul. Pourquoi est-il à peu près nul? Parce que les jurés ne sont pas des idiots. Le bon sens prévaut généralement.

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Oui, mais Guy Turcotte, me direz-vous...

Ce verdict de «non-responsabilité», qui sera examiné en appel cet automne, a traumatisé le Québec à un point tel qu'on en est venu à croire que le «truc» du psy est un fameux moyen d'enfirouaper un jury.

L'actualité, dans son dernier numéro, revisite en détail l'affaire Guy Turcotte. On y met en relief le relativisme des diagnostics de psychiatrie. Et surtout les faiblesses du système des experts. Ils sont souvent au service d'une partie plus que de la «science», et bien des gens pensent qu'ils devraient être désignés par la cour - comme on veut le faire de plus en plus au civil.

Le problème est réel et mérite d'être corrigé. Mais la psychiatrie ne deviendra pas une science exacte demain. Et puis, est-ce bien la grande cause de l'acquittement de Guy Turcotte?

Au fait, est-on devant un fléau? Une sorte d'épidémie de jugements révoltants fondés sur des expertises loufoques? La réponse est non.

Le cas de Cathie Gauthier, tellement triste, avait de quoi inspirer la pitié d'un jury. Elle a été une participante, mais pas l'initiatrice de ce pacte. Et pourtant, le jury l'a déclarée coupable de trois meurtres prémédités.

Pourquoi? Parce qu'ils n'ont pas cru son histoire.

Au-delà des verdicts bizarres et incompréhensibles qui parsèment les annales, un fait demeure. Douze personnes ordinaires réunies pour juger quelqu'un n'ont pas le goût plus que vous et moi de laisser les assassins échapper à la justice.