C'est bien beau, la «laïcité», mais ce n'est pas une raison pour faire disparaître toute trace de l'histoire chrétienne du Québec.

Voilà à peu près, en une phrase, le jugement de la Cour d'appel dans l'affaire de la prière au conseil municipal à Saguenay.

Un jugement somme toute étonnant. Et décevant. Mais un jugement qui sera sûrement populaire, puisqu'il exprime une sorte de ras-le-bol majoritaire. Ras-le-bol devant l'accumulation des droits religieux reconnus aux minorités. Et devant la pression grandissante pour faire s'effacer de l'espace public les signes religieux chrétiens.

C'est d'ailleurs exactement comme ça que l'a compris le maire de Saguenay, Jean Tremblay. «J'invite les Québécois à se tenir debout!», a-t-il dit, ragaillardi par ce jugement unanime du plus haut tribunal au Québec.

On peut le comprendre.

Le juge Guy Gagnon, qui l'a rédigé, égratigne maintes fois les tenants de la «laïcité intégrale» et militante, ceux qui voudraient une «laïcité tous azimuts». Je suis bien d'accord: il n'y a pas lieu de faire une syncope devant une croix de chemin.

Mais il me semble qu'une prière à «Dieu tout-puissant» n'entre pas dans la même catégorie que la croix du mont Royal, la croix blanche du drapeau du Québec ou même le crucifix à l'Assemblée nationale.

Il y a une grande différence entre une instance politique qui décide, en 2013, de réciter une prière monothéiste... et ce que l'histoire a déposé sur notre territoire.

Il y a lieu de respecter «ces formes de particularisme religieux que l'on retrouve dispersées ici et là dans l'espace public», comme dit le juge Gagnon. D'accord. Ces croix qui parsèment notre paysage sont en effet, comme dit la Cour, «des manifestations historiques de la dimension religieuse de la société québécoise». Effectivement, «replacées dans une juste perspective», elles ne compromettent nullement la neutralité de l'État.

Mais une prière par des politiciens municipaux? Je n'en fais pas une maladie, et je trouve que de dédommager ce brave M. Alain Simoneau à hauteur de 30 000$ pour atteinte à sa liberté de conscience d'athée est un brin excessif.

Juridiquement, cependant, je ne vois pas comment justifier le maintien de cette pratique.

L'Ontario connaît exactement le même débat. En 1999, dans l'affaire Freitag, la Cour d'appel y avait déclaré inconstitutionnel le «Notre Père» récité au conseil municipal de Penetanguishene.

Plusieurs conseils municipaux ont refusé d'appliquer ce jugement. Ou, comme à Peterborough, ont trouvé un truc: un Notre Père... suivi d'une minute de silence. Tout le monde est content, non?

D'autres municipalités ontariennes ont adopté une prière non confessionnelle, comme la nouvelle version de Saguenay.

Ces deux pratiques sont présentement contestées devant la Cour supérieure de l'Ontario, qui devra se pencher là-dessus cet automne.

Pendant ce temps, la Chambre des communes fait sa prière, semblable à celle de Saguenay. Mais la théorie du privilège parlementaire fait en sorte que les tribunaux n'interviennent pas dans le fonctionnement interne du Parlement, même sur des questions de Charte des droits.

La Cour européenne des droits de l'homme, de son côté, a déclaré valide la loi italienne qui impose la présence d'un crucifix dans chaque classe du pays.

Aux États-Unis, les causes sont multiples et le texte, différent. Aussi est-il un peu surprenant de voir notre Cour d'appel s'inspirer d'un jugement majoritaire de la Cour suprême américaine dans une affaire du Nebraska.

Quoi qu'il en soit, sur le fond, la récitation d'une prière dans une enceinte politique n'est pas vraiment défendable. Si elle était récitée par des hindous, perdrait-elle son caractère culturel et historique? Ils ont, paraît-il, 700 divinités...

Même en invoquant «Dieu tout-puissant», on exclut les croyants de religions polythéistes, les animistes et, bien sûr, les athées.

J'insiste: ça ne me dérange pas vraiment qu'à Saguenay on fasse ça. Mais posons la question en termes juridiques: comment peut-on prétendre que ça n'atteint pas la neutralité religieuse de l'État?

Que M. Simoneau ne se soit pas senti obligé d'adhérer à une religion en entendant son conseil municipal n'indique pas que la prière est neutre. Cela signifie simplement que c'est un cas mineur de non-neutralité. C'en est un quand même!

La Cour d'appel a bien raison de fustiger le Tribunal des droits de la personne, qui a admis comme «expert» un militant du mouvement laïque, lui-même plaignant dans une cause semblable à Outremont! C'est franchement gênant.

Mais elle se permet de faire un détour pour sermonner le maire Tremblay. Selon quelle logique? S'il a le droit de prier, pourquoi n'a-t-il pas le droit de professer sa foi sur la place publique, hors du conseil? S'il fait un signe de croix avant la prière, ce n'est pas un manque au devoir de réserve. C'est un manque de neutralité d'un élu. Or, justement, il ne veut pas être neutre! Il me semble qu'il devrait cesser de prier à l'hôtel de ville et qu'il s'exprime abondamment sur sa foi à l'extérieur. La Cour d'appel pense exactement le contraire.

Bref, un jugement qui me paraît manquer de rigueur juridique. Tout ceci finira en Cour suprême, soit par le chemin du Québec, soit par celui de l'Ontario. (Et sera défait, j'espère.)

Et quoi qu'il advienne, même en abolissant les prières dans les enceintes d'élus, on n'est pas obligés de déboulonner la croix du mont Royal.