Ah, il est chic, leur maire! Où est donc passée la moralité légendaire de Toronto?

Les nôtres sont peut-être corrompus, ils ont peut-être laissé la mafia prendre le contrôle de l'hôtel de ville, mais ils ne se tiennent pas dans des piqueries!

Attention, Toronto!

Oui, bon, l'incurie de nos maires nous a coûté des dizaines de millions et ils nous font honte chaque jour à la télévision nationale.

Mais si vous analysez un échantillon d'urine de Gérald Tremblay, vous n'y trouverez que des traces de Rootbeer de chez Wendy's. Il est sobre comme un moine bouddhiste, discipliné comme un adjudant et propre de sa personne.

On ne les retrouve pas gluants de sueur, ivres morts dans des galas. Non, monsieur. Quand ils vont dans des galas, nos maires, c'est pour faire du financement illégal, pour organiser la distribution de contrats d'asphalte, tripoter dans les appels d'offres, faire semblant de ne pas voir les enveloppes qui virevoltent dans la salle.

Ils travaillent comme des fous, ces gens-là!

Pensez-vous qu'ils pourraient faire toutes ces magouilles s'ils buvaient comme des matelots? Comment voulez-vous fourrer le peuple en état d'ébriété? Il y faut un minimum de rigueur.

Non, nous, madame, nos maires savent se tenir en public. Ils n'intoxiquent pas les bébés avec leur haleine. Ils n'insultent pas les homosexuels et les cyclistes. Ils ne parlent pas au cellulaire en conduisant leur voiture.

Pauvre, pauvre Toronto...

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Le jour de son assermentation comme maire de Toronto, Rob Ford avait invité Don Cherry à faire le discours de présentation.

Le commentateur sportif, connu pour ses collets de chemise xénophobes et ses commentaires sociaux extravagants, avait fini une tirade incohérente par ces paroles prophétiques:

«Mettez ça dans votre pipe, bande de débiles gauchistes!»

Eh ben, deux ans et demi plus tard, qu'apprend-on? D'après le Toronto Star, il n'y a pas que les idiots de gauche qui mettent des trucs dans leur pipe.

Ces scènes du maire de Toronto au milieu de deux trafiquants, dont un a été assassiné depuis, sont renversantes. Elles n'ont pas été authentifiées, mais deux journalistes du Star qui ont visionné cette vidéo trois fois disent que cela «a l'air» d'être le maire en train de fumer du crack.

Le Star, plus gros tirage du pays, était sur le coup depuis quelques semaines. Mais c'est la diffusion de l'information sur un site de potins américain (Gawker) qui semble avoir donné le coup d'accélérateur à la publication.

L'avocat de Ford a qualifié l'information publiée par Gawker jeudi soir de «fausse et diffamatoire». Comment authentifier une vidéo que personne n'a en sa possession (qu'un groupe de trafiquants somaliens qui cherchent à la vendre pour 100 000$ au moins)? Et comment savoir ce que les gens fument?

«Ridicule», s'est contenté de dire Ford hier, sans plus d'explications.

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Le problème, c'est que cette vidéo mystérieuse n'est qu'un point culminant dans une série de comportements bizarres.

Le Star a raconté cet hiver que Ford a été mis à la porte d'un gala pour cause d'ébriété avancée. Son horaire est imprévisible et pas très chargé. Des membres de son personnel confient à des journalistes que l'homme a besoin d'une cure de désintoxication à l'alcool.

Avant même son élection-surprise en 2010, Ford avait fait parler de lui. Arrêté pour ivresse au volant en Floride, on avait trouvé dans sa voiture de la marijuana. Il a été dénoncé maintes fois pour avoir insulté diverses personnes en public.

C'est sans parler de son obstination à utiliser les fonds publics pour faire un don de 3000$ à sa fondation pour des jeunes joueurs de football. Ça lui a valu une destitution l'automne dernier pour accroc à la loi sur les conflits d'intérêts - destitution annulée en appel cet hiver.

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Bref, bien avant cette histoire douteuse, l'homme a montré qu'il n'a ni le jugement ni le caractère requis pour gérer la quatrième plus grande ville en Amérique du Nord.

Il arrive que la moralité privée vienne entraver la fonction publique.

L'avantage de Toronto sur Montréal ou Laval, c'est que ces problèmes sont très visibles. Et relativement faciles à régler par une élection.

L'effondrement de la moralité publique dans une administration, comme dans nos villes, est infiniment plus sournoise, plus coûteuse et plus difficile à éradiquer.

Attention, Montréal!

Pour joindre notre chroniqueur: yboisvert@lapresse.ca