En 2009, 150 Hells Angels et sympathisants étaient arrêtés lors de la plus grosse rafle antigang de l'histoire du Canada: l'opération SharQc.

Quatre ans plus tard, on attend toujours qu'un premier procès commence. L'affaire s'est embourbée dans un dédale assommant de requêtes et d'appels qu'à peu près plus un seul journaliste ne suit.

Le «gang de Laval», avec ses 37 accusés dans le dossier de corruption, n'est pas lui non plus à la veille d'être jugé. Ne serait-ce que parce qu'il n'y a au Québec que deux salles capables d'accueillir des procès de plus de 30 accusés. Elles sont mobilisées pour les procès de motards, qui commenceront peut-être à la fin de l'été...

Le problème dépasse largement les questions d'architecture, malheureusement.

Avec une enquête de deux ans qui vise des faits remontant à 1996, et touchant 37 personnes, attendons-nous à une orgie de requêtes des avocats de la défense pour se faire divulguer la preuve dans ses moindres détails.

«D'après moi, ça pourrait prendre cinq ans», me dit une source bien au fait de ce genre de dossiers. La justice n'a pas encore appris à gérer ces bêtes judiciaires.

Dans le dossier SharQc, on assiste à une sorte de bras de fer entre le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) et la magistrature. Les procureurs de la poursuite trouvent que les juges se mêlent de ce qui ne les regarde pas en «organisant» les procès; et les juges trouvent que la poursuite improvise et n'a pas pris les moyens pour bien organiser ces monstres judiciaires.

Monstres?

On s'est amusé à calculer que, pour le dossier SharQc, il faudrait sept années de lecture ininterrompue, sept jours sur sept, jour et nuit pour prendre connaissance de toute la preuve. «Si toutes les preuves devaient être imprimées, elles constitueraient une colonne de 145 km, l'équivalent de 371 Empire State Building».

Imaginez en Place Ville-Marie...

En 2011, le juge James Brunton a fait face à une requête des motards pour faire capoter tous les procès. Il l'a rejetée, mais s'est senti obligé de dresser un calendrier et d'organiser les procès en groupes cohérents selon les accusations et les lieux d'activité criminelle.

Il a calculé qu'il faudrait 11 procès, dont le dernier ne pourrait raisonnablement avoir lieu avant... 2021. Il a donc libéré un groupe de 31 accusés. Il a maintenu les accusations pour les dossiers les plus graves - meurtres et complots pour meurtres.

La méthode est très controversée et je l'ai critiquée à l'époque: le juge libérait des accusés pour des délais anticipés d'après un calendrier qu'il avait lui-même dressé.

Dans la vraie vie, la plupart des accusés s'avouent coupables si la preuve est forte. Depuis, d'ailleurs, 33 motards ont plaidé coupable et se sont fait infliger des peines allant de huit ans à la perpétuité.

Mais voilà que la Cour d'appel a confirmé cette décision il y a trois semaines. Le plus haut tribunal au Québec reproche à la poursuite d'avoir procédé trop rapidement aux arrestations des motards, sans «plan de match» judiciaire. Il n'y avait «pas nécessairement urgence à procéder aux arrestations en avril 2009», écrit le juge François Doyon, l'autorité en droit criminel de la Cour. Peut-être le juge Brunton aurait-il pu envisager d'autres solutions (plus petits procès ailleurs, etc.); mais difficile de lui donner tort sur les délais: deux ans plus tard, aucun procès n'a commencé!

L'affaire n'est pas finie: un des trois juges ayant été dissident, la poursuite a un droit d'appel automatique en Cour suprême. L'avis a été envoyé. Et les neuf sages devront donc nous dire quelles sont les limites du pouvoir de gestion des juges dans ces affaires complexes.

Entre-temps, on se prépare à commencer deux premiers procès pour meurtres avec 19 accusés en août, et 18 accusés en septembre. Le tout au milieu de requêtes toutes plus divertissantes les unes que les autres. Un exemple? Les faits reprochés aux Hells ont eu lieu de 1992 à 2002; mais la défense veut obtenir des éléments de preuve postérieurs, au cas où on y trouverait matière à reproche aux policiers. On exige également la base de données de la police pour voir au travers des communications secrètes de la police si l'on n'aurait pas brimé les droits des accusés. Etc. Avec appels à la clé. On s'amuse follement.

Espérons que dans le cas de Laval, il y a un plan.

L'opinion publique ne tolérera pas qu'on attende cinq ans pour juger l'ex-maire de 72 ans. Divisera-t-on le dossier pour juger rapidement les principaux accusés? Il faudrait.

Il en va de la crédibilité de la lutte contre la corruption.