Quand on a voulu examiner les excès de la police de Toronto durant le sommet du G20, on a nommé un juge à la retraite parmi les plus respectés de la province.

Quand le gouvernement du Québec a décidé d'examiner la crise étudiante, il a nommé un ancien ministre péquiste, une ex-présidente de la CSN et un juge retraité.

Ah, tous de bonnes gens! Serge Ménard, dont j'ai souvent vanté les mérites ici, est un juriste admirable et un des hommes les plus qualifiés pour enquêter sur la police. Mais dans cette tâche hautement explosive politiquement, comment un ancien ministre du Parti québécois, ex-collègue de Pauline Marois, peut-il présider un comité qui étudiera les agissements de ses anciens adversaires politiques? Un minimum d'apparence d'impartialité aurait été appréciée...

Quant à Claudette Carbonneau, elle a bien mérité de la patrie. Vraiment. Mais elle s'est prononcée publiquement sur le sujet, pour critiquer le gouvernement Charest. Et on veut que les ministres de ce cabinet s'en aillent témoigner devant elle?

En février 2012, Claudette Carbonneau écrit au courrier des lecteurs de La Presse pour dénoncer le cynisme du gouvernement Charest.

En 2010, en effet, le gouvernement libéral avait convoqué un peu tout le monde pour réfléchir, supposément, sur le financement des universités. Quelques mois plus tard, il décrétait les hausses de droits de scolarité que l'on sait.

L'ancienne présidente de la CSN était outrée et l'a dit clairement, avant même que le «printemps» étudiant ne fleurisse.

Le mois suivant, toujours au sujet du conflit étudiant, Mme Carbonneau a écrit dans La Presse qu'il «faut être aveugle pour ne pas voir l'impasse et le gâchis qui pointent à l'horizon».

Il n'y a rien d'inconvenant dans cette prise de position, largement répandue même auprès de ceux qui étaient en faveur de la hausse des droits. Là n'est pas la question. Simplement, un décideur doit être impartial.

Or voilà qu'un an plus tard, le ministre de la Sécurité publique, Stéphane Bergeron, la nomme au sein de ce comité spécial de trois personnes chargé d'examiner les dérapages de ce printemps.

Spécial, en effet!

Ce comité n'étudiera pas vraiment le travail de la police, au fait. Il devra «analyser les circonstances» entourant les manifestations. Il devra aussi «déterminer les facteurs qui ont contribué à la détérioration du climat social».

Je ne sais pas pourquoi, mais y a quelque chose qui me dit qu'un des «facteurs» sera l'attitude du gouvernement libéral...

Le ministre, le jour de l'annonce de la formation de son comité d'examen, ne s'est pas privé pour dénoncer le refus de négocier du gouvernement libéral.

Opinion politique fort légitime. Mais il ne s'agit pas ici d'un débat à l'Assemblée nationale. Il s'agit de l'annonce d'un comité d'examen censé être indépendant.

Raté, raté, raté.

J'avoue être fort étonné, dans ce contexte, de voir l'ancien juge de la Cour du Québec Bernard Grenier prêter le prestige de sa fonction et sa réputation à un tel exercice.

On a dénoncé le fait que cet examen ne sera pas public. Ce n'est pas absolument nécessaire. On n'est pas obligé de transformer le Québec en festival des commissions d'enquête. Dès qu'une commission siège en public, il faut protéger quiconque peut y être nommé.

La procédure devient lourde, les coûts énormes, puisqu'il faut souvent payer les honoraires des avocats des employés de l'État. Il faut réserver cette machinerie aux cas les plus urgents - Charbonneau, disons!

Le juge John Morden, qui a enquêté sur la surveillance des agissements de la police de Toronto autour du G20, a siégé essentiellement en privé, sans pouvoir de contrainte. Ses conclusions, sur plus de 400 pages très critiques, n'en étaient pas moins crédibles. Pourquoi? Parce que c'était lui!

On a vu d'autres modèles. La commission sur l'industrie de la construction, dans les années 70, était présidée par un juge (Robert Cliche), un représentant des patrons (Brian Mulroney) et un représentant des syndicats (Guy Chevrette). Ainsi une forme d'équilibre, typique du droit du travail, régnait.

À quoi servira un rapport qui est mis en doute avant la première journée de travail du comité? Même politiquement, c'est nul.

Que dirait-on d'un comité fédéral sur le pétrole des sables bitumineux auquel siégeraient un ancien ministre conservateur et un ancien président de l'association pétrolière?

On dirait la même chose: ce gouvernement ne respecte ni l'intelligence des citoyens ni les institutions.

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