Il y a des politiciens corrompus. Donneurs de contrats d'asphalte à la petite semaine, ils jouent leur honneur et leur carrière pour 15 000$. Un voyage en Floride. Du pavé uni style romain.

Et il y a Gilles Vaillancourt.

Si la corruption municipale n'avait pas existé, il l'aurait fait breveter, si on en croit les accusations déposées hier.

Quand, avant ce jour glorieux du 9 mai 2013, un politicien canadien a-t-il été accusé d'être à la tête d'une organisation criminelle? Jamais, évidemment.

Songez un peu... Un gang!

D'après le Code criminel, une «organisation criminelle» est un groupe d'au moins trois personnes dont «une des activités principales» est de commettre des crimes graves.

Est-ce à dire qu'une des activités principales de cet ex-maire à vie était de commettre des crimes graves?

Lundi: conseil municipal. Mardi: fraude. Mercredi: dîner de la chambre de commerce. Jeudi: pot-de-vin. Vendredi: inauguration d'une usine. Samedi: enveloppes à remplir et à vider.

C'est ça?

Non. L'organisation criminelle, ce n'est pas la mairie de Laval - encore qu'on pourrait le croire. Ce serait ce groupe restreint d'hommes de pouvoirs qui utilisaient l'hôtel de ville à leur profit, d'après la police.

Pas besoin de badge, de moto, de carte de membre ou d'organigramme: il suffit d'un groupe humain de trois personnes ou plus lancées dans une aventure criminelle commune à leur profit.

Robert Lafrenière, le commissaire de l'UPAC, dit que la preuve consiste en 30 000 conversations téléphoniques et 150 témoignages. On en verra la qualité éventuellement. En attendant, notons:

1) la puissance symbolique de l'accusation de gangstérisme et de chef de gang visant le maire de la troisième ville au Québec;

2) la qualité et le sérieux du travail de cette unité dont on disait l'an dernier qu'elle n'attrapait que des «petits poissons»: voici un mammifère marin;

3) l'importance stratégique de l'accusation de gangstérisme.

Pourquoi stratégique? Pas qu'on ait gonflé l'acte d'accusation pour mieux négocier. Simplement, les dispositions antigangs peuvent servir à mettre une énorme pression sur un accusé.

Les accusations liées au gangstérisme qui pèsent sur Gilles Vaillancourt comportent des peines maximales de 14 ans et... d'emprisonnement à perpétuité!

Personne ne pense qu'un homme sans antécédent judiciaire, dans un gang non violent, s'approcherait du maximum.

L'enjeu est ailleurs: la peine pour gangstérisme s'ajoute obligatoirement aux autres peines pour les autres accusations liées aux mêmes faits.

Imaginons par exemple que Gilles Vaillancourt soit déclaré coupable de fraude et de corruption. Si les faits sont nombreux, prémédités, répétés, avec des sommes conséquentes, sur une période de 15 ans, Gilles Vaillancourt risque fort le maximum. Ce serait une sorte de Vincent Lacroix de la corruption: pas d'antécédent judiciaire, mais une montagne de facteurs aggravants. Comme l'incroyable abus de confiance du public.

Supposons, donc, qu'il soit passible d'une peine d'une dizaine d'années. Le juge devra lui infliger une peine supplémentaire, et consécutive, pour gangstérisme. Et il sera obligé d'en purger au moins la moitié!

Sachant ça, si la preuve le justifie, ce peut être un fameux argument pour l'inciter à négocier. Lui... ou ses complices.

Hier, M. Lafrenière confiait que ce genre d'accusés, instruits, bien conseillés, est difficile à traquer.

Mais une fois que vous avez dans un coin un ingénieur ou un homme d'affaires qui n'a jamais vu une prison, est-ce que c'est plus facile à interroger qu'un motard qui entre et sort de la prison?

Robert Lafrenière a esquissé un sourire et a répondu «oui, peut-être».

«Mais il faut l'emmener dans un coin...»

Les Américains se sont servis abondamment de la RICO, leur loi antigang, pour convaincre des accusés de «collaborer» dans les procès antimafia, mais aussi dans diverses affaires impliquant hommes d'affaires, politiciens ou membres du clergé.

La loi canadienne est plus jeune (1997) et l'expérience encore limitée. On a dit que la preuve serait «difficile» en matière de gangstérisme. Ce n'est pas nécessairement le cas: il suffit de démontrer une sorte de schéma et la commission de crimes «graves» (punissables par cinq ans ou plus d'emprisonnement, dont: fraude, corruption, abus de confiance, etc.).

La preuve sera communiquée dans quelques semaines aux accusés. Si elle est convaincante, ils auront des décisions à prendre. Notamment: dans quel genre d'établissement vont-ils finir leurs jours? Sécurité minimum?

En attendant, ils savent une chose: cette enquête prétend être allée au fond des choses lavalloises, au coeur même d'un système pourri et criminel.

En calculant leurs options, ils sont sûrement un peu comme nous tous: ils n'en reviennent pas.