Comme chaque lendemain de marathon à Boston, les rues du centre-ville étaient pleines des coureurs arborant le classique coupe-vent fluo, hier.

Plusieurs avaient encore au cou la médaille remise à tous ceux qui ont franchi les 42,2 km.

La procession improvisée avait quelque chose d'absurde. Qu'y a-t-il à célébrer dans le fait de terminer une épreuve interrompue par la mort de trois spectateurs et tant de chair broyée?

Mais ils ne célébraient pas vraiment. Ils retournaient sur les lieux du crime, incrédules. Des fleurs avaient été déposées devant la barrière de sécurité. Ils mesuraient leur chance. C'était moins pour dire «je l'ai fait» que «je reviendrai».

«Ça me donne seulement plus envie de revenir!», me dit Bob Martin, 56 ans, qui en était à son septième marathon de Boston.

Il vient de l'État de Washington, comme cet homme de 78 ans que le monde entier a vu s'écrouler sur l'asphalte, à quelques mètres de l'arrivée, soufflé par la première explosion.

«Il s'appelle Bill Iffrig, il va très bien, il s'est relevé et a terminé la course en 4h03.»

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Vingt-quatre heures après l'attentat, plusieurs rues du centre-ville sont encore fermées et surveillées par la Garde nationale et la police. La scène a été laissée telle quelle. Des milliers de verres de Gatorade en carton, lancés par les coureurs, jonchent la rue, mêlés par le vent à des couvertures de survie en aluminium.

Les dizaines de fauteuils roulants qui attendent les marathoniens épuisés ou blessés sont agglutinées près des tentes médicales. On ne les pas encore démantelées, les rues n'étant pas accessibles. On ne regardera plus jamais ces tentes de la même façon.

Plusieurs spectateurs doivent probablement leur vie au personnel médical présent à proximité, qui a pu juguler des hémorragies et offrir les premiers soins.

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Le long de Charles River, des braves du club d'aviron du Boston College High School mettent des embarcations de huit rameurs à l'eau.

«On n'est pas le genre de ville à se laisser abattre, me dit le coach. L'an prochain, je parie qu'il y aura deux fois plus de spectateurs! C'est drôle à dire, je trouve les gens plus gentils en ville aujourd'hui... Ils ne klaxonnent pas, ils vous laissent traverser. À Boston, c'est nouveau!»

Les coureurs ont le même langage, qu'ils soient du Texas, du Manitoba ou du Danemark.

Ils disent qu'ils reviendront et c'est sans doute vrai. Ils disent que les terroristes ne vont pas leur dicter leur façon de vivre. Ça, c'est un peu moins vrai.

Chaque acte terroriste réduit insensiblement notre espace de liberté publique. Il rend la vie plus compliquée. Il installe le doute et la suspicion un peu plus.

Déjà, hier, des coureurs comparaient le niveau de sécurité de Boston et de New York. «Au marathon de New York, on fouille tous les sacs, il y a plus de policiers», me dit Benjamin Medina, 57 ans, de Chicago.

Sans doute, mais la bombe n'a pas été placée dans le sac d'un coureur. Et puis, comment surveiller mètre par mètre un parcours aussi long et aussi fréquenté?

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Boston n'est pas seulement le plus vieux marathon annuel au monde (1897). C'est pour plusieurs amateurs le plus mythique. Notamment parce que toute la ville s'y met et en fait un événement gigantesque. Les spectateurs se massent pour voir et encourager les coureurs anonymes du début à la fin.

On ne sait pas qui a fait sauter ces bombes, mais il n'a pas choisi le lieu ni le moment au hasard. C'est à l'arrivée que s'entassent le plus de gens. Et c'est autour de 4h, 4h15 que la masse des coureurs arrive en fin de parcours.

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Il m'a fallu courir cinq marathons pour finalement obtenir mon temps de qualification, l'automne dernier. J'avais le choix d'aller à Boston en 2013 ou en 2014. J'ai choisi d'y aller en 2014. Et comme ceux que j'ai rencontrés hier, je ne vois pas de raison d'y renoncer. Ça aurait pu arriver dans n'importe quel rassemblement.

«Ce n'est pas censé arriver dans un événement aussi joyeux», entend-on. Ce n'est pas censé non plus arriver dans une tour de bureaux, à bord d'un avion ou dans une ambassade. Mais ça arrive.

J'irai donc, mais je n'irai pas comme j'y serais allé. Chaque attentat nous laisse légèrement différents. Vous a-t-on dit que le dernier «mile» de la course était dédié aux victimes de la tuerie de Newton?

Différent, oui, inévitablement. Nous voilà encore juste un peu mieux prévenus de la folie du monde.