Y a-t-il un logicien dans la salle?

Pour «préserver le décorum» dans les salles d'audience, il sera dorénavant interdit d'y tweetter. Ainsi en ont décidé les responsables des tribunaux du Québec.

Par contre, il sera permis aux journalistes et aux avocats d'utiliser en mode silencieux des appareils informatiques ou des téléphones intelligents... mais uniquement pour «consulter des notes».

Il semble que le bruit des doigts sur un clavier respecte le décorum quand c'est pour chercher de la jurisprudence... mais pas quand c'est pour rapporter ce qui se passe...

Pour montrer que les magistrats ne sont pas opposés aux évolutions technologiques, le juge en chef associé Robert Pidgeon souligne qu'il sera permis de tweetter... à condition de sortir de la salle d'audience.

Merci pour la permission!

Nous voici devant la situation absurde suivante: les autorités judiciaires préfèrent voir les journalistes entrer et sortir sans arrêt de la salle d'audience pour aller tweetter plutôt que de supporter l'idée qu'ils transmettent en direct ce qui se passe... depuis l'intérieur de l'enceinte sacrée.

Sur le plan strictement logique, j'avoue que je ne comprends pas très bien...

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L'affaire a évidemment peu à voir avec le décorum, et beaucoup à voir avec la peur du changement... et des médias.

Il faudrait séparer les problèmes. Si les médias font des erreurs ou rapportent illégalement des faits, ils sont soumis à la loi de la même manière, que ce soit sur Twitter, à la radio ou dans un journal.

Quant au décorum, la question ne se résume-t-elle pas à ceci: est interdit ce qui nuit au bon déroulement de l'audience, ou qui distrait les témoins, le jury ou ceux qui travaillent à rendre la justice?

Depuis longtemps déjà, avocats, juges et journalistes utilisent des outils électroniques, comme dans n'importe quel milieu de travail.

Il n'y a donc, en soi, aucun accroc au décorum quand un journaliste tweette.

On en revient donc inévitablement au contenu.

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Véronique Robert, avocate criminaliste, blogueuse et adepte de Twitter, a écrit un long texte dans le Voir pour appuyer cette interdiction.

Étonnamment, c'est elle qui a défendu avec succès le «maquilleur de l'horreur», Rémy Couture, dans un procès où les journalistes étaient autorisés à tweetter.

Dans ce procès, la défense avait l'opinion publique de son côté, en particulier sur Twitter, où un public plus jeune et plus libertaire que la moyenne se concentre.

L'avocate prend plutôt appui sur l'autre expérience de «twivage» judiciaire: le procès de l'ex-juge Jacques Delisle. Elle relève le ton, la transformation en «suspense» de cette affaire par les journalistes; leurs commentaires parfois excessifs (!!!) ou les erreurs de jugement.

Évidemment, dans le flot des choses qui s'écrivent, y compris par des gens qui suivent le procès en lisant les tweets, on peut toujours trouver la bêtise ou l'inexactitude - pas juste sur Twitter. Mais en quoi le fait d'aller l'écrire à l'extérieur de la salle, ou après les heures, réglera-t-il le problème?

Pendant le procès Shafia, sans doute un des plus médiatisés des dernières années au Canada, Twitter était autorisé. Les journalistes étaient soumis aux mêmes règles sur la publication. Pour y avoir été, je sais qu'il n'y a eu aucun problème. Je veux dire: aucun problème judiciaire. Les journalistes rapportaient en pièces détachées ce qui se passait au procès.

À moins de s'inquiéter de ce qu'un loustic quelque part a pu écrire en se servant d'un tweet journalistique, c'est tout ce qui importe. Car ce loustic pourra toujours faire des commentaires stupides, que les tweets journalistiques soient en direct ou non.

Les tribunaux ontariens ont d'ailleurs décidé en décembre d'accepter le twivage par les journalistes.

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Le milieu judiciaire a été bien choqué de cette photo, prise avec un téléphone, du juge Delisle à qui on passait les menottes, et publiée dans le Soleil. Elle a pourtant été prise de l'extérieur de la salle d'audience et n'a donc rien à voir avec le droit de tweetter.

Ce qui me fait dire qu'il y a là-dedans une grande incompréhension de l'évolution des médias et de la manière contemporaine de communiquer.

Pour connaître le juge Pidgeon, pourtant, je sais qu'il comprend fort bien le rôle des médias... traditionnels.

Il y a quelque chose d'inquiétant pour les tribunaux (entre autres!) dans l'idée même des médias sociaux, où il ne semble y avoir aucun maître, aucune autorité, et un million d'excès. Les palais de justice n'ont pas non plus à épouser chaque nouveau mouvement technologique.

Mais la solution n'est pas le bannissement. Les médias sociaux sont là pour rester. Les juges, comme nous tous, devront s'adapter.