Un, deux, trois ingénieurs... Ils démissionnent à qui mieux mieux après leur passage à la Commission.

Il ne s'agit pas seulement d'une opération de maquillage ou de «relations publiques». C'est aussi une opération juridique d'urgence.

La nouvelle Loi sur l'intégrité en matière de contrats publics, adoptée à pleine vapeur l'automne dernier, oblige maintenant toutes les entreprises qui veulent obtenir un contrat public à se faire délivrer une «autorisation» officielle par l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Il y a les cas évidents: l'AMF doit refuser cette autorisation, ou la révoquer, si l'entreprise, un administrateur, un dirigeant ou un actionnaire majoritaire a été condamné à certaines infractions du Code criminel, aux lois fiscales ou à certaines autres lois dans les cinq dernières années.

Mais l'AMF s'est fait donner un pouvoir beaucoup plus vaste, excessif même aux yeux de plusieurs avocats en ville.

C'est le pouvoir ni plus ni moins de refuser une autorisation pour cause de mauvaise réputation, même en l'absence de toute condamnation ou même d'accusation.

Voyons le texte: «L'Autorité peut refuser à une entreprise de lui accorder ou de lui renouveler une autorisation ou révoquer une telle autorisation si elle considère que la confiance du public est affectée en raison du manque d'intégrité de l'entreprise, d'un de ses associés, d'un de ses administrateurs ou d'un de ses dirigeants [...]»

L'AMF nous dira jusqu'où ça va... En attendant, un avocat le moindrement prudent peut conclure que le simple passage en commission d'enquête d'un dirigeant de firme qui avoue une forme de collusion, de corruption ou de violation des lois électorales «affecte la confiance du public».

L'avis juridique est simple: il devient urgent de se départir de ce dirigeant pour espérer passer le test de l'intégrité.

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Je doute que Dessau ait réglé tous ses problèmes en se débarrassant de Rosaire Sauriol. On comprend mieux, peut-être, pourquoi il est resté en poste jusque-là: pour servir de paratonnerre. Il s'est accusé de tous les péchés de Dessau et on l'a sacrifié. Il a dit qu'il contrôlait le système illégal de fausses factures, de même que le transport d'argent comptant de ville en ville.

Dessau, dans un autre communiqué suave mardi, a même dit que la société ignorait tout des ententes financières entre Bernard Trépanier et la firme. Tout ça était fait par Rosaire, le numéro 2, dans le dos de tous! Quelle tromperie, mesdames et messieurs, il était vraiment temps de le saquer, ma foi...

Pourtant, Rosaire Sauriol a dit sous serment que son frère Jean-Pierre, PDG de Dessau, était au courant de ses pratiques illégales - sans donner de détails.

Question. Vous êtes un décideur de l'AMF, dépositaire de la «confiance du public». Le numéro 2 s'accuse de tous les crimes, mais a dit que le numéro 1 était au courant. Trouvez-vous que le président passe le test?

Ah, vous êtes durs, mesdames et messieurs...

Soyons sérieux: pour urgente qu'elle était, cette première vague de licenciements-démissions est loin d'être suffisante juridiquement parlant. Tous les dirigeants ayant trempé dans le stratagème sont en danger!

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N'allez pas croire pour autant qu'ils joueront tous à l'agneau, vu les enjeux. Une bataille juridique menace à l'horizon.

La notion de «confiance du public» contenue dans la loi 1 n'est pas un critère particulièrement objectif - par opposition à une condamnation d'un tribunal, par exemple.

La loi énumère une série de critères pour encadrer ce pouvoir, c'est vrai. Par exemple: un actionnaire qui entretient des «liens» avec une «organisation criminelle» affecte cette confiance. Si le président va échanger des billets avec le parrain, c'est assez facile à régler. Mais on peut imaginer mille autres scénarios bien plus ambigus, et dont l'entreprise n'a pas connaissance.

Pour plusieurs avocats, ce cadre est flou et potentiellement inconstitutionnel en vertu de la théorie de l'imprécision. Une loi doit être suffisamment claire, un pouvoir administratif suffisamment balisé pour être valide.

Dans le climat anticorruption qui existe pour les excellentes raisons qu'on connaît, aucun parlementaire ne semble avoir soulevé le problème.

Mais soyez assurés que face à la peine de mort professionnelle, plusieurs sont en train de fourbir leurs armes judiciaires...