Sous la pluie froide, la scène de 50 000 personnes en train de fixer une cheminée sur un écran géant avait quelque chose de singulièrement absurde, hier soir.

Un communiqué envoyé par texto ou sur Twitter manquerait de panache, a dit le porte-parole du Vatican l'autre jour. Sans doute.

On ne se complaît pas dans les traditions, ici. On s'en délecte.

Le même raisonnement vaut pour le latin. Plus tôt dans la journée, je me suis promené sur une place Saint-Pierre presque vide, mais tout aussi arrosée. On pouvait voir sur les quatre écrans géants les cardinaux participer à une spectaculaire messe «Pro eligendo Romano Pontifice». Le latin n'est plus guère enseigné, c'est même disparu des églises depuis 50 ans. Mais c'est la langue des grandes messes, ici. Le jour de son «renoncement», Benoît XVI a d'abord fait son annonce en latin, si bien qu'une seule journaliste a immédiatement saisi ce dont il était question.

Détails insignifiants? Ils disent pourtant de manière éclatante l'incroyable difficulté de cette institution à communiquer avec les gens de son siècle. Arrêtez de leur parler de Twitter. Le télégraphe s'est-il seulement rendu?

La semaine dernière, quand diverses campagnes électorales papales semblaient s'organiser à travers les médias, le Vatican a ordonné à tous les princes de l'Église de garder le silence. Tout le monde a compris que c'était un ordre adressé essentiellement aux cardinaux américains, qui donnaient des points de presse particulièrement goûtés.

«J'ai appris qu'on évangélise mieux avec le sourire qu'avec un air renfrogné», a dit le très sympathique cardinal Timothy Dolan, de New York. Ferait-il un bon pape? «Moi, pape? Vous avez fumé quoi? D'ailleurs, il faut que je rentre à New York, je n'ai même plus de chaussettes propres!»

L'homme a cessé ses points de presse, mais son blogue était encore actif juste avant l'entrée au conclave. «J'espère que le conclave ne sera pas trop long. Si ça s'étire, vous verrez des vêtements en train de sécher à ma fenêtre à la résidence Sainte-Marthe.»

Ce style décontracté n'est pas exactement celui de Benoît XVI, et pas du tout celui de la «curie romaine», c'est-à-dire ceux qui détiennent le pouvoir autour du pape, ceux qui dirigent les congrégations et les tribunaux ecclésiastiques - comme Marc Ouellet.

Il n'y a pas que le style, encore que le style donne une idée de la volonté de parler pour être compris par le monde tel qu'il est.

Il y a bien sûr les idées. À force de lire les analyses sur les différents blocs idéologiques, on pourrait avoir l'impression d'une élection avec un très large spectre d'idées, allant de l'extrême gauche à l'ultraconservatisme.

«Conservateurs» contre «réformistes» ? Quand on tente de décoder le langage des vaticanistes, on se rend compte que ce qui sépare un «conservateur» d'un «réformiste» est d'une nuance infiniment subtile. Il semble y avoir plus de diversité de vues dans le Parti communiste chinois que dans le Sacré Collège. C'est logique, puisqu'ils ont été nommés pour la majorité par le dernier pape ou par son prédécesseur, dont il a été le continuateur (y compris dans ses positions sociales nettement ancrées à gauche en ce qui concerne l'immigration, la pauvreté, l'armement, l'économie).

La presse nous rapporte que le clan des «réformistes» appuie le cardinal de Milan, Angelo Scola. Mais réformiste dans un sens à peu près incompréhensible pour les outsiders que nous sommes. Réformiste dans le sens bureaucratique du terme; parce qu'il est tenant d'une réforme de l'organisation vaticane. Pas parce qu'il veut faire accéder les femmes à la prêtrise, permettre le mariage des prêtres ou faire une commission vérité et réconciliation sur la déviance sexuelle. L'homme était un proche de Benoît XVI, tout indique qu'il partage sa vision de la morale catholique. Comme ses collègues.

S'il y avait des révolutionnaires dans le lot, ça se saurait. L'idée que les cardinaux des pays du tiers-monde seraient forcément «progressistes» n'est pas plus fondée. L'autre favori, le cardinal brésilien Odilo Sherer, est critiqué lui aussi dans son pays pour ses prises de position contre le condom, les recherches sur les cellules souches, bref il n'a pas été nommé pour jouer au chef de l'opposition au pape.

Les yeux fixés sur cette fascinante cheminée, il ne faut donc pas s'attendre à ce qu'elle annonce un changement radical. À peine, peut-être, un nouveau style.

Et encore: même dans le style, rien qui vienne faire trop désordre dans ce monde où rien ne doit changer pour les siècles des siècles.