À elle seule, l'avocate Diane Larose a infecté de ses délais tout le système de justice professionnelle du Québec.

L'avocate, qui a présidé divers conseils de discipline, «délibère» non seulement dans les 6 causes de médecins délinquants que je citais lundi, mais dans plus de 50 autres concernant des infirmières, des conseillers financiers, des travailleurs sociaux, des vétérinaires, et j'en passe.

De partout, à la suite de mon article, on m'a écrit pour me dire: moi aussi, j'attends sa décision! Dans certains cas, on parle de quatre ans de retard. On a même trouvé un dossier où elle délibère depuis... 2008!

L'avocate de 57 ans a été nommée en 2007 par les libéraux à la présidence de plusieurs conseils de discipline de différents ordres professionnels. En plus, elle a siégé comme substitut à nombre de conseils - dont celui des médecins.

À ce jour, en effet, la nomination des présidents de conseils de discipline est un processus politique totalement discrétionnaire qui n'est soumis à aucun filtre. Me Larose est une ancienne de Bélanger Sauvé, spécialiste en droit municipal, selon le curriculum vitae déposé à l'époque de sa nomination.

Son mandat n'a pas été renouvelé au printemps dernier pour des raisons évidentes: ses cinq années de mandat ont été tout simplement catastrophiques.

Le problème n'est pas réglé pour autant: elle n'a toujours pas rendu sa décision dans quelque 50 dossiers, mais probablement plus de 75. «Près de 100», me confie même une source.

Seulement à l'Ordre des infirmières, on attend sa décision dans 17 causes. Chez les Administrateurs agréés, le cas de Roxane Cléroux est en délibéré depuis... le 2 juillet 2009. Une autre affaire, celle de Renaud Vachon, traîne depuis un an. Les Travailleurs sociaux n'ont pas pu rappeler à temps pour faire leur compilation. Mais l'ordre a alerté Québec dès 2011 - sans succès.

Et ainsi de suite.

Pour lui avoir parlé vendredi dans le cas des médecins, Me Larose est incapable de nous expliquer les raisons de ces délais en série. Il y a «plusieurs raisons», disait-elle, ne citant qu'une inondation de son sous-sol en mai 2012 comme exemple.

Les conséquences sont évidemment lourdes. D'abord, évidemment, des gens qui ont porté plainte dans des dossiers très sérieux d'incompétence ou même d'inconduite sexuelle poireautent depuis des années.

Ensuite, tous ces professionnels attendent eux aussi d'être fixés sur leur sort. Certains seront radiés.

Avec de tels délais, on s'étonne qu'aucun avocat ne se soit présenté en Cour supérieure pour invoquer l'abus de procédure et faire tout simplement rayer l'affaire.

Faudra-t-il reprendre des causes en entier?

Ce que cette bizarre et absurde dérive nous montre, c'est l'impotence du système de surveillance des ordres professionnels. Comment a-t-on pu laisser les choses aller si loin?

L'Office des professions, censé chapeauter les différents ordres professionnels, a été mis au courant du problème depuis au moins deux ans. Il n'a jamais pris la situation en main.

Les ordres professionnels sont mal à l'aise et ne veulent pas se faire reprocher d'empiéter sur l'indépendance des conseils de discipline.

Jean-Paul Dutrisac, président de l'Office des professions, n'était même pas capable de me dire combien de dossiers sont en attente, hier. N'est-ce pas à l'Office, pourtant, de rassembler l'information quand le problème atteint un niveau de crise dans plusieurs ordres?

La loi donne six mois aux présidents dont le mandat n'est pas renouvelé pour rendre leur décision. Ce délai étant dépassé, l'Office a finalement convoqué la présidente multiretardataire pour décider de la suite des choses. Il était temps!

Les choses iront mieux, dit le président Dutrisac, si le projet de loi sur la nomination et l'encadrement des présidents de conseil est finalement adopté.

Sans doute. Mais il ne faut pas trop compter sur cet organisme bureaucratique frileux pour mettre au pas les déviants. Depuis 2008 qu'il en a le pouvoir, l'Office n'a même pas réussi à rédiger un code de déontologie des décideurs de discipline...

Bien entendu, on vous dira qu'on est «très préoccupé» par la situation. Toutes les excuses sont pourtant bonnes pour renvoyer la responsabilité aux parties impliquées ou pour attendre que la loi change pour simplement dire à quelqu'un de faire son job.

On devine pourtant aisément qu'une partie attendant une décision est en situation délicate pour aller engueuler le décideur qui traîne les pieds.

Tout ça me rappelle le mot d'un ancien bâtonnier, Denis Paradis, qui avait fait scandale en parlant de «l'Office du taponnage du Québec». Comment lui donner tort?

Pour un taponnage, c'en est un fameux. Il discrédite tous les ordres professionnels, qu'on blâmera de ne pas régler les plaintes des citoyens.

Pour une fois, ce ne sera pas de leur faute.