Le 11 mai 2010, le Dr José-Ramon Herrera-Correa a avoué devant ses pairs une «inconduite sexuelle» auprès d'une patiente.

Ce jour-là, l'endocrinologue, qui exerçait à l'hôpital de Verdun, a reconnu sa culpabilité à trois infractions au code de déontologie des médecins: avoir couché avec cette patiente, puis avoir continué à la traiter une fois qu'elle eut emménagé chez lui. Il a également reconnu avoir commis une faute en flirtant intensément avec une autre patiente.

Le syndic du Collège des médecins, dans ce cas-ci Suzanne Richer, s'est entendu avec l'avocat du Dr Herrera-Correa: en échange de cet aveu de culpabilité, il serait radié en tout pour un mois et réprimandé.

On peut juger la sanction trop clémente, mais pour une fois, ce n'est pas l'objet de ma chronique.

Constatons simplement ceci pour le moment: c'est une affaire juridiquement simple où les faits ne sont pas contestés et au sujet de laquelle les parties se sont entendues.

Eh bien, figurez-vous que presque trois ans plus tard, le conseil de discipline du Collège des médecins n'a toujours pas rendu sa décision.

Trente-trois mois n'ont pas suffi pour trancher cette affaire routinière. Ou bien le conseil approuve l'entente (comme il l'a fait abondamment au fil des ans), ou bien il la rejette. Mais passé six mois de délibération, c'est le conseil qui commet une faute déontologique!

Que se passe-t-il donc?

Il se passe que les présidents des conseils de discipline ne sont soumis à aucune supervision au Québec. Ils sont nommés par le ministre de la Justice sans aucun critère de sélection un peu serré. Bref, ce sont des nominations politiques - et lucratives.

Car tous les conseils de discipline des ordres professionnels sont présidés par un avocat, qui siège avec deux membres respectés de l'ordre en question - même chose avec les infirmières ou les ingénieurs. Le président est chargé de rédiger la décision, en consultation avec les deux professionnels désignés.

Quand il est arrivé en fonction, le nouveau président du Collège des médecins, Charles Bernard, s'est scandalisé de la lenteur du traitement des plaintes des patients en discipline. Et il a vite constaté qu'une partie des délais était attribuable à des conseils de discipline qui se traînent les pieds.

Dans le dossier Herrera-Correa, le conseil est présidé par l'avocate Diane Larose, présidente substitut.

À elle seule, cette avocate a six dossiers en délibéré depuis plus d'un an.

Des juges dans des situations semblables par le passé se sont fait menacer de plainte devant le Conseil de la magistrature, avec risque de destitution... Ce qui a réglé le problème assez vite.

Dans le cas des conseils de discipline, aucun «juge en chef» ne les surveille.

En plus du dossier Herrera-Correa, Me Larose planche depuis deux ans sur l'affaire de la Dre Marie Vallée, une simple affaire de loyer. Depuis un an et demi qu'elle a conclu dans le cas Nelson Ubani, un médecin qui a débordé de son champ de compétence, elle n'a toujours pas rédigé sa décision. Même chose pour le dossier de la Dre Sophia Tchernenkov, décision rendue en septembre 2011.

L'avocate délibère depuis le 18 octobre 2011 sur le sort à réserver au célèbre Dr Maurice Duquette, connu dans le dossier de dopage de Geneviève Jeanson. Il attend sa sanction depuis 16 mois.

D'autres dossiers traînent aussi dans ses cartons.

Heureusement, son mandat n'a pas été renouvelé par le gouvernement. Mais comment expliquer de tels délais? Me Larose m'a aimablement répondu vendredi qu'«il y a plusieurs raisons qui expliquent ça». «Je ne veux pas entrer dans les détails, mais je vais vous donner un seul exemple: il y a eu une inondation dans mon sous-sol le 29 mai 2012, plusieurs dossiers ont été endommagés; ça n'explique pas tout, ce n'est qu'un exemple.»

Mai 2012... C'est déjà deux ans après le début du délibéré...

Tout ça n'a évidemment aucun sens, ni pour les patients ni pour les médecins.

Le pire, c'est que ce n'est pas un cas isolé. Plusieurs ordres professionnels vivent des situations semblables, où la seule issue est un recours en Cour supérieure contre son propre conseil de discipline pour le forcer à faire son travail! Solution de dernier recours pas très invitante.

L'an dernier, l'ex-ministre de la Justice Jean-Marc Fournier a présenté un projet de loi (79) qui vient encadrer la nomination et le travail des présidents de conseil de discipline. Un président en chef sera nommé, les compétences des présidents et leur célérité seront évaluées.

Le délai maximum de délibéré (sauf exception autorisée) sera de six mois et le retardataire pourra se faire retirer le dossier.

Le projet de loi est mort au feuilleton, mais heureusement, le nouveau ministre de la Justice Bertrand St-Arnaud a signifié qu'il allait le ressusciter.

En attendant... Eh ben, on attend que sortent du sous-sol de Me Larose toutes ces décisions qui auront un impact sur la vie de dizaines de personnes.

En attendant, des gens qui, peut-être, ne devraient pas exercer la médecine l'exercent comme si de rien n'était.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca