Ça fait quoi? Trois jours? Trois jours que le témoin raconte comment il a arrosé de dollars tout ce que le Grand Montréal compte d'échevins, de maires et de ratons laveurs.

Mille dollars par-ci, cent mille dollars par-là, tiens mon enveloppe, lâche ma valise...

Les billets volent et emplissent le ciel de la commission Charbonneau comme des confettis dans un défilé d'astronautes sur la 5e Avenue.

On ne voit plus clair.

Tellement qu'on oublie de temps en temps que cet argent a été volé dans les fonds publics par des enfirouapeurs professionnels, faiseurs d'élections autant que de trottoirs, tricheurs extrrrrrêmement soucieux de la qualité des travaux publics.

On veut bien fourrer le public, mesdames et messieurs, mais il ne faut pas compromettre sa sécurité - qui c'est qui payerait pour tout ça, sinon, hein? Roulez l'esprit en paix et faites confiance à votre robinet.

On ne voit plus clair, donc, avec cet argent qui fuit des Travaux publics comme l'eau des tuyaux de Montréal.

Si bien qu'il est arrivé ceci d'une irrésistible drôlerie, hier à la Commission:

Quand l'ingénieur Michel Lalonde a répondu à la dernière question du procureur Gallant, l'avocat du parti politique de l'ex-maire Tremblay, Me Michel Dorval, s'est levé.

Malheureusement pour lui, Freud s'est levé en même temps et lui a fait une jambette. (Freud est partout, comme vous savez, et suit avec fascination les travaux de la Commission, pour ce qu'ils révèlent de la psyché humaine.)

Voulant se montrer conciliant avec le témoin, Me Dorval a dit que «les plus grandes compagnies du Québec» donnent aux partis politiques, et que «c'est normal» et même bon pour la démocratie!

Oups...

Le commissaire Renaud Lachance a dû l'interrompre pour lui rappeler l'existence de la Loi sur le financement des partis politiques, qui interdit toute autre forme de financement que les dons personnels depuis plus de 30 ans...

Ah oui, bien sûr, c'était une distraction... N'en parlons plus, ça peut arriver à tout le monde, n'est-ce pas?

La Commission a repris son cours après ce qui semblait un hoquet anecdotique.

Je crois que cette «erreur» est l'expression sincère, mais accidentelle d'une pensée honteuse. Une évidence refoulée avec soin par tout le monde politique québécois (ou presque) depuis tellement longtemps: les entreprises financent les partis politiques. Et en masse. Passez la souffleuse dans cette tempête d'argent sale et venez me dire que Jacques Duchesneau a exagéré en disant que «70%» de l'argent des partis politiques était recueilli illégalement!

Michel Lalonde, cet acteur relativement mineur du génie-conseil, a donné à lui seul un million de dollars en une douzaine d'années au municipal et aux partis provinciaux.

Qui dit mieux? Qui dit plus?

Restez à l'écoute...

Il y a, dans ce petit million, des milliers de dollars «donnés» avec des prête-noms. Mais des centaines de milliers de dollars donnés en comptant directement, en dehors de toute comptabilité.

Comment ne pas penser que le fondement même du financement politique est la contribution des entreprises?

Des entreprises intéressées, bien entendu, des entreprises qu'on voit comploter pour empêcher la concurrence et faire augmenter illégalement le coût des travaux.

Me viennent à l'esprit deux, trois articles du Code criminel...

Le lapsus exquis de l'avocat Michel Dorval n'est pas formellement un aveu, entendons-nous bien. On cause psychanalyse, là...

C'est simplement qu'il résume magnifiquement l'état de la situation: tout le monde le sait, mais il ne faut pas le dire.

Il ne faut pas le dire, mais tellement de témoins l'ont démontré à tour de rôle. Toutes ces pratiques honteuses, niées la main sur la Bible depuis si longtemps par la classe politique, refont finalement surface comme un désir inavouable.

C'est une faute tellement habituelle, tellement banale, que si on n'y prend garde, on la confessera sans s'en rendre compte...

Oups.

Voilà aussi à quoi servent parfois les commissions d'enquête: faire remonter à la surface de la vie publique ce que tout un milieu veut refouler.

Cette commission aura au moins ceci de bon: plus personne dans le monde politique ne pourra nous dire: «Je ne savais pas.»