Elle avait 27 ans et était enceinte de jumeaux depuis 11 semaines. Elle est entrée à l'hôpital en ambulance, à 11h40 le 26 septembre 2008. Elle avait des saignements et des douleurs intenses. Elle faisait une fausse couche.

Le lendemain, elle était morte.

Morte parce que le gynécologue de garde, appelé, appelé, rappelé et encore rappelé, n'a pas été foutu de se rendre à son chevet.

Ce médecin, Kenneth Chan, a été traîné devant le conseil de discipline du Collège des médecins. Et si cette triste affaire mérite d'être racontée aujourd'hui, c'est parce qu'elle illustre encore une fois l'incroyable complaisance du syndic du Collège des médecins, censé être la police de la déontologie médicale.

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Cette mort «aurait facilement pu être évitée si le Dr Chan avait respecté les normes minimales de pratique en cas d'urgence obstétricale», a conclu un collègue, le Dr François Beaudoin.

Que s'est-il passé? Après un examen bâclé vers 19 h (il n'a pas pris ou du moins pas noté les signes vitaux!), le Dr Chan rentre à la maison. On rappelle le médecin dans la soirée: la patiente va mal.

Docteur! Le taux d'hémoglobine a chuté de 112 à 51... Les globules blancs augmentent de manière anormale... La température aussi...

Il est 21 h 50, il a fallu l'appeler trois fois et il refuse de revenir à l'hôpital Santa Cabrini. Il exige d'autres tests sanguins.

On le rappelle deux fois, à 0 h 15, sans le joindre. Il rappelle. Les résultats confirment ce que l'infirmière avait dit au médecin. Il ordonne par téléphone une transfusion. Mais ne veut pas revenir à l'hôpital. Un peu plus tard, il se décharge de la patiente sur l'urgentologue. À 3 h 20, elle est aux soins intensifs.

À 7 h 22, on rappelle le Dr Chan. La femme est maintenant intubée. Il y a du sang dans l'abdomen, elle a subi un choc septique. Qu'importe: le médecin spécialiste refuse de se rendre à l'hôpital tant qu'on n'aura pas fait un scan! Impossible à faire dans son état. On rappelle le médecin à 9 h 50 pour le lui dire. Il s'entête.

À 11h05, elle est morte.

On conclut qu'elle avait un problème très rare. Mais que l'urgence de la situation était manifeste et que le Dr Chan a manqué à ses devoirs les plus élémentaires.

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Comme c'est souvent le cas, en échange d'un aveu de culpabilité à une série de fautes, le syndic du Collège (Jean-Claude Fortin ici) recommande une sanction de compromis: quatre mois de radiation.

Des fautes «sérieuses et graves»... qui ont entraîné la mort! Mais voyez-vous, le médecin «exprime de l'empathie et du regret par rapport à la triste tournure des événements». Vu cette bonne disposition d'esprit, le syndic croit qu'il y a un faible risque de récidive.

Une empathie qui arrive une mort trop tard, mais qui semble avoir ému aux larmes le syndic.

Quatre mois pour une négligence scandaleuse qui a coûté la vie à une femme dans la force de l'âge.

Et ce même syndic veut radier le «Doc Mailloux» pour cinq ans! Si les gros mots du Doc Mailloux choquent plus le syndic qu'une incompétence qui tue, ou qu'une agression sexuelle, c'est que vraiment, ça ne va pas, mais vraiment pas dans votre collège, docteur...

Quatre mois de radiation pour des manquements aussi graves et aussi mortels, c'est ridicule, pour ne pas dire franchement dégueulasse. C'est ce qu'en des mots mieux choisis vient de dire le conseil de discipline du Collège des médecins.

La semaine dernière, en effet, le conseil a rejeté la recommandation commune des avocats du syndic et du médecin délinquant. On a plutôt suspendu le droit d'exercice du Dr Chan pour un an.

Donner suite à cette recommandation commune de quatre mois de radiation risquerait de miner «l'intégrité et la crédibilité» de la justice disciplinaire.

Ce n'est pas rien!

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C'est la deuxième fois en six mois que le conseil de discipline vient secouer les puces du syndic du Collège des médecins. L'été dernier, il avait refusé une radiation de deux mois suggérée par le syndic pour un agresseur sexuel... et avait plutôt infligé trois ans.

On parle pourtant ici d'un conseil de discipline dont la clémence est légendaire, si on le compare aux équivalents ontariens ou américains.

Alors que cet organe notoirement mou vient dire deux fois en un an que les suggestions du syndic menacent «l'intégrité du système» par leur insignifiance... voilà qui est grave.

En clair, ça veut dire que ce syndic ne fait tout simplement pas son travail de protection du public et qu'il est temps de lui montrer la porte.