Anvil Mining est accusée d'avoir été complice de crimes de guerre en République démocratique du Congo. Mais elle ne sera jugée nulle part.

En 2004, des soldats transportés par des camions d'Anvil sont allés réprimer une rébellion dans un village en République démocratique du Congo. Un rapport de l'Organisation des Nations unies parle de 73 morts, de viols et de pillages.

Impossible d'obtenir justice en République démocratique du Congo, disent les familles des victimes: un procès militaire très critiqué n'a retenu aucune responsabilité. Les familles des victimes ont donc tenté un recours à Montréal, où la société minière a déjà possédé un petit bureau.

Jeudi, la Cour suprême du Canada a refusé d'entendre l'affaire, déjà rejetée en Cour d'appel.

La cause était loin d'être gagnée même si la cour avait accepté de l'entendre. D'abord, Anvil, entreprise australienne, s'est installée dans les Territoires du Nord-Ouest en 2005, avant d'être vendue à une entreprise chinoise plus tôt cette année. Elle n'a plus de bureau au Canada. Ensuite, l'entreprise prétend que ses camions n'ont pas été prêtés, mais réquisitionnés par l'armée contre son gré.

Un fait demeure toutefois: quand les corporations canadiennes sont complices de violations des droits de la personne dans les pays du tiers-monde, elles ne sont généralement jugées nulle part.

On ne parle pas nécessairement de massacres. On parle de travail forcé, de travail des enfants, d'expulsions brutales, de répression policière, de pollution à grande échelle. Bref, des sous-produits d'une certaine mondialisation.

L'exceptionnel dossier d'Agnès Gruda et Isabelle Hachey, le mois dernier, montre bien que tout n'est pas noir dans le monde des sociétés minières canadiennes à l'étranger. Mais il montre aussi qu'il n'y a pas de mécanisme juridique efficace pour les tenir responsables de leur complicité avec les tortionnaires ou de leurs crimes environnementaux.

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Depuis plusieurs années déjà, le juge Ian Binnie, qui a pris sa retraite de la Cour suprême l'an dernier, plaide pour mettre fin à cette impunité.

«Quand il s'agit de développer le droit international du commerce et des affaires, les États agissent avec une formidable efficacité», note-t-il.

Mais quand il s'agit de protéger les droits de victimes de ce développement, c'est une autre histoire...

«Appliquer notre droit à des situations à l'extérieur de notre territoire est contraire à nos conceptions; mais il y a des actes tellement répugnants qu'ils doivent nous forcer à revoir nos conceptions du droit. Au XVIIIe siècle, la piraterie posait une telle menace qu'on pouvait juger les pirates sans égard au lieu de leurs crimes.»

Faut-il changer les lois canadiennes ou les juges doivent-ils être plus imaginatifs?

«Malheureusement, les deux», m'a-t-il dit hier au téléphone depuis Toronto - en précisant qu'il ne se prononce pas sur l'affaire Anvil.

Une tentative législative a échoué il y a quelques années, à Ottawa - c'était un projet de surveillance des activités des sociétés minières canadiennes à l'étranger.

Il n'y a pas de loi autorisant spécifiquement ce genre de recours devant nos tribunaux. Et... «Ou bien les juges s'en laveront les mains, ou bien ils repenseront l'état du droit. Il leur faudra être créatifs, comme c'est arrivé souvent dans notre histoire. Le droit doit se réinventer constamment.»

Dans les années 50, bien avant qu'une Charte des droits existe, le juge Ivan Rand, de la Cour suprême, a trouvé divers moyens pour invalider des lois aberrantes du gouvernement Duplessis. La justice élémentaire le requérait.

On en est là.

La Cour suprême n'a d'ailleurs pas fermé la porte à ce genre de recours, si la bonne cause se présente. Sans doute l'affaire d'Anvil n'était pas la mieux choisie.

«La mondialisation a produit plusieurs effets positifs, mais il n'y a aucun mécanisme encore pour que les gens qui souffrent de ses abus trouvent justice. Ça fait en sorte que le coût de la mondialisation repose uniquement sur ces victimes. Si on payait le prix véritable pour l'exploitation pétrolière au Nigeria, sans doute l'essence coûterait-elle quelques cents de plus. Au lieu de ça, les coûts humains et environnementaux sont supportés uniquement là-bas», dit Ian Binnie, un des juristes les plus respectés au pays.

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C'est en fait tout notre rapport au commerce international qui est en jeu.

Ce qui est produit dans des pays du tiers-monde coûte moins cher, non seulement parce que les ouvriers sont moins bien payés, mais aussi parce que les sociétés n'ont pas (toujours) à payer pour les conséquences de leurs abus.

Un mécanisme qui ouvrirait des recours dans les pays où les corporations mères ont leur siège social finirait par injecter un peu plus de vérité dans les prix... et un peu plus de justice aussi, peut-être.