Évidemment qu'il le savait. Quand un collecteur de fonds est assez nono pour faire compter 850 000$ par la réceptionniste stagiaire du parti, c'est qu'il n'y a pas trop de cachettes...

Gérald Tremblay sait que l'argent illégal l'a fait élire. On en a eu la preuve hier. Et quand, noir sur blanc, on lui a montré la comptabilité secrète de son parti lors d'une élection partielle, il a eu cette phrase sublime qui résume toute sa politique en matière de lutte à la corruption: «Moi, je n'ai pas à savoir ça.»

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Sans doute quelque part en chemin vers le pouvoir, comme tant d'autres, Gérald Tremblay a fait un pacte avec sa conscience.

Il allait être financé par quelques fripouilles pas trop regardantes de la loi. Mais ce serait le prix à payer pour devenir maire et faire toutes sortes de belles et grandes choses.

Après tout, c'est juste de l'argent dépensé pour la bonne cause... Et lui n'a «rien à voir là-dedans», hein?

Il se doutait bien qu'il y avait fling-flang dans le financement. Je ne savais pas qu'on avait été assez bête pour l'en informer directement.

Eh bien, oui. L'agent très officiel du parti, devant le maire, a fait état d'une fausse comptabilité, dès 2004. Celle des vraies dépenses, faites avec de l'argent comptant apporté par Bernard Trépanier.

Il savait, donc, non pas par déduction, mais parce qu'il en a été informé.

Il ne savait pas, peut-être, à quel point sa ville était inféodée à la mafia. Mais il savait au moins deux choses. Un: son parti violait la Loi électorale. Deux: quelqu'un apportait du cash à plein coffre-fort.

D'où venait cet argent?

Cet argent en si ridiculement grande quantité que Bernard Trépanier n'arrivait plus à fermer sa veste, tant ses poches étaient pleines d'enveloppes.

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Bien sûr qu'il ne voulait pas savoir.

Parce que tout s'enchaîne.

Le dépassement des dépenses dans une élection partielle est directement lié au financement illégal; qui est lié au truquage des appels d'offres; qui est lié à la corruption des fonctionnaires et de quelques élus importants; qui est liée à la participation de la mafia; qui est liée à du prêt usuraire et du blanchiment d'argent; qui est lié à des règlements de comptes...

Ce n'est pas le battement d'ailes d'un papillon qui déclenche une tempête à l'autre bout du monde.

C'est l'argent sale dépensé dans une campagne électorale qui finit par mettre un gars dans une «valise» d'auto.

Tout se tient dans ce système mafieux qui est exposé sous nos yeux ahuris.

Alors malheur à celui qui pose une question. D'où vient le cash que Bernard apporte pour payer nos «bénévoles» ? Qui le lui a donné? Pourquoi? Qui a décoré la cuisine de Frank?

Pourquoi Bernard Trépanier ferme les stores et sa porte quand Bernard Poulin, du Groupe SM, ou Jean-Pierre Sauriol, de Dessau, viennent le visiter?

Eh, c'est pas des deux de pique, ça, ce sont des patrons de grandes firmes de génie-conseil qui travaillent à l'international! Et ça entre dans le bureau de «monsieur 3%» comme... comme des gars allergiques au soleil, quoi? Stores baissés, porte fermée...

Pourquoi donc? Pour... quoi?

Maudites questions!

Non, monsieur le maire nous l'a dit hier, il veut gérer Montréal. Lâchez-moi avec vos sales questions! Faites comme moi!

Sauf qu'en ne posant aucune question, Gérald Tremblay a livré Montréal juste un peu plus à la mafia.

On savait qu'il avait failli en s'entourant de personnages louches. On savait qu'il n'avait rien surveillé. On se doutait qu'il savait.

Maintenant, un témoin courageux, Martin Dumont, est venu nous le dire: il savait que son parti trichait.

Celui-là n'est accusé de rien, n'a volé personne et ne gagnera rien dans cet acte d'hygiène démocratique tellement important: simplement témoigner.

Imaginez qu'avant hier, même sa blonde ne savait pas que «monsieur Trottoir», Nicolo Milioto, avait menacé de le couler dans le béton parce qu'il posait trop de questions. Il a dit ça avec la voix étranglée par la peur très réelle de mourir.

«S'il n'y avait pas eu cette commission, je ne l'aurais jamais dit, vous m'avez donné confiance.»

Quelle extraordinaire déclaration. Quelle parfaite illustration de la pertinence de l'exercice.

Ce serait donc agréable qu'une fois pour toutes, Gérald Tremblay vienne nous dire ce qu'il sait. Tout. Au lieu de mandater son avocat pour tenter de planter ce brave témoin (c'est mal parti!).

Ce serait agréable, mais Gérald Tremblay, sous ses airs de sainte nitouche, nous a habitués au déni, au mensonge et à la lâcheté politique.