Ce n'est pas un hasard si la commissaire Charbonneau a parlé d'élus «de Laval et Montréal».

C'est un avertissement à tout le monde politique municipal de ces deux villes: on a de l'information à votre sujet.

La phrase était glissée au milieu de son long texte d'ouverture: des témoins indiqueront de quelle façon des entreprises de construction «se sont réparti des contrats, de quelle façon des fonctionnaires de la Ville auraient été soudoyés et comment une partie de l'argent aurait été recueillie pour des partis politiques municipaux. Certains nous parleront d'élus de certaines villes, notamment Laval et Montréal».

Bang.

Corruption de fonctionnaires. Financement politique illégal. Implication d'élus municipaux.

Il y en a tellement à Montréal que ça semble ne viser personne... Mais à Laval, on compte «seulement» 22 élus. De qui parle-t-on?

Une chose est certaine: cette phrase n'a pas été prononcée à la légère. La Commission s'est imposé une sorte d'obligation de résultat, ici. Elle doit être suffisamment certaine de ce qu'elle pourra prouver. Les cibles sont trop précises, les accusations trop graves.

On sait que des gens sont accusés devant la cour criminelle pour le scandale des terrains du Faubourg Contrecoeur, à Montréal. On sait que la Ville a dû annuler le plus gros contrat de son histoire, celui des compteurs d'eau, après un rapport dévastateur du Vérificateur général et des révélations de copinage par les médias.

Mais jusqu'ici, aucun élu n'a été ouvertement mouillé dans cette affaire.

À Laval? Aucune accusation n'a encore été porte et, officiellement, tout va pour le mieux...

Depuis des années, on a démontré des cas d'attribution douteuse de contrats (notamment pour la recherche hebdomadaire de micros cachés à l'hôtel de ville); deux députés et un organisateur politique de deux partis différents affirment de leur côté que le maire Gilles Vaillancourt lui-même leur a offert de l'argent. Le maire nie vigoureusement, il a même menacé de poursuivre Serge Ménard... avant de se dégonfler. L'accumulation devient franchement gênante, même si aucun crime n'a été commis. Drôle de manie...

De qui et de quoi s'agira-t-il à la Commission? Ah, ça, on ne nous le dit pas. Mais la commissaire n'a pas fait ça seulement pour exciter les journalistes. Ce caillou lancé stratégiquement dans la mare municipale vise à voir sortir quelques témoins. À faire réfléchir quelques silencieux. Et à dire à tout le monde: nous sommes sérieux. On n'a pas ouvert cette commission d'enquête pour une histoire d'asphalte à Matane. On va s'attaquer aux gros dossiers.

Or, depuis longtemps, on sait qu'un petit groupe d'entrepreneurs s'empare de la majorité des contrats dans ces deux villes. On sait grâce à divers témoignages que la concurrence n'y est pas la bienvenue. Et on sait que le milieu politique n'y a vu que du feu, ou a prétendu ne rien avoir vu, à Laval comme à Montréal.

Toujours aussi suave et imperturbable, le maire de Laval a dit hier qu'il entend collaborer pleinement à la Commission - comme s'il avait le choix. Bien hâte de voir quelle forme prendra cette collaboration.

Entre-temps, on est loin du vif du sujet. On «met la table» avec des témoignages historiques et d'experts sur le crime organisé et la construction pendant plusieurs jours.

Rien de «croustillant» à l'horizon immédiat, pour reprendre l'expression un peu surprenante du procureur en chef Sylvain Lussier - les gens visés pourraient se plaindre d'être utilisés pour un spectacle, un peu comme on a reproché à John Gomery de dire que sa commission était «le meilleur spectacle en ville»...

La commissaire Charbonneau a annoncé hier que le professeur Roderick Macdonald avait été opéré le printemps dernier pour un cancer. Il va mieux, mais il est toujours en convalescence et ne pourra assister aux audiences pour une période indéterminée. C'est donc à deux que la commission siège. La commissaire Charbonneau a beau dire que M. Macdonald suit les audiences de près, il a beau être une sommité, la situation ne pourra pas durer éternellement.

On entrera bientôt dans le vif du sujet et ils sont nombreux à ne chercher qu'un prétexte pour faire dérailler le processus. On imagine mal que des témoignages litigieux soient entendus sans M. Macdonald. Il faudra alors décider de continuer à deux commissaires avant d'ouvrir la voie aux contestations.