Le procureur a promis du «croustillant». Si la moitié des bruits qu'on entend en ville sont vrais, ça va croustiller cet automne...

Mais, cette semaine, la commission Charbonneau sur l'industrie de la construction va s'appliquer à nous donner un cours de mafia 101.

Joe Pistone, alias Donnie Brasco, qui a infiltré la mafia new-yorkaise pour le FBI il y a 35 ans, est à l'affiche. Vedette-témoin plus que témoin-vedette: il n'a rien à nous dire sur les contrats d'asphalte de Laval ou de Montréal des 15 dernières années (le mandat de la Commission couvre les années 1996-2011).

Rien... Et beaucoup en même temps. Il ne connaît pas les acteurs actuels ni le milieu et n'a été témoin de rien en particulier ici. Mais il en connaît un rayon sur l'infiltration du crime organisé dans l'industrie de la construction. Les stratagèmes sont semblables à Palerme, à New York et à Montréal. Il connaît aussi la mafia nord-américaine puisqu'il a infiltré la famille Bonnano, liée au clan Rizzuto de Montréal.

On aurait donc tort de conclure que Pistone ne vient ici que pour le show. C'est un expert de la mafia, de ses méthodes, de sa mentalité.

On entendra également Valentina Tenti, criminologue qui a étudié le crime organisé, son infiltration dans l'économie et la corruption.

Après avoir expliqué comment fonctionnent les appels d'offres au ministère des Transports, après avoir entendu Jacques Duchesneau parler de son rapport, on se penche sur le crime organisé lui-même.

Ce sera sans doute intéressant... Mais ce qu'on veut entendre, ce qu'on veut voir, c'est le lien entre les deux. C'est l'illustration du rapport Duchesneau: des histoires de corruption et de collusion. Avec des noms. Des dates. Des preuves.

La Commission a préféré commencer par faire entendre des experts et garder les faits pour plus tard. Il y a une certaine logique là-dedans: on explique les mécanismes d'attribution des contrats publics; on présente les systèmes mafieux... et après seulement on illustre avec des cas particuliers. Après quoi on cherchera des mécanismes de correction.

Il y a une autre raison, plus terre-à-terre: les enquêteurs de la Commission sont sur le terrain à tenter de trouver des histoires et de convaincre des témoins importants de parler.

Il suffit parfois d'un seul témoin, pourvu qu'il soit assez important, pour faire basculer une commission... et délier des langues.

Rien ne filtre directement de la Commission, mais un certain vent d'optimisme règne; on n'entend pas seulement faire du coloriage sur les histoires dessinées par les médias jusqu'à maintenant. On nous promet du nouveau.

Le responsable des enquêtes est Robert Pigeon, de la Sûreté du Québec (SQ), chef d'orchestre de Printemps 2001, un des plus formidables coups de filet policiers en Amérique du Nord contre le crime organisé - en l'occurrence les motards.

Une fois la série d'experts entendus, la vraie partie va donc pouvoir commencer. Et d'après ce qu'on entend, les soucis de sécurité ne sont pas tellement autour de Pistone. Ils sont plutôt autour de témoins qui connaissent le milieu ici et aujourd'hui, et dont on n'a pas encore filmé l'histoire...

Des entrepreneurs autant que des ingénieurs, des syndicalistes et des membres du crime organisé sont des témoins potentiels, de gré ou de force.

En 2009, quand Radio-Canada a révélé que Jocelyn Dupuis, ancien directeur général de la FTQ-Construction, avait des notes de frais de prince et qu'il fréquentait des gens du crime organisé, Raynald Desjardins s'est porté à sa défense. Desjardins, déjà condamné pour le trafic de près de 1 tonne de cocaïne, était un lieutenant de Vito Rizzuto. En libération conditionnelle à l'époque, il disait s'être recyclé dans la construction de la manière la plus légitime. Il a dit au collègue André Cédilot qu'il avait tout appris de Dupuis, devenu un ami.

Dupuis est maintenant accusé de fraude et de vol, tandis que Desjardins est accusé du meurtre d'un mafioso. Voilà le genre d'individus qui savent deux ou trois choses sur la jonction du crime organisé et de la construction, sur ce curieux mélange de business et de syndicalisme.

Il y en a des centaines d'autres...

Il y a bien des raisons d'être optimiste, mais cette Commission a sans doute le mandat le plus vaste jamais donné à une commission de type judiciaire.

Elle couvre 15 années de contrats de construction publics dans toutes les municipalités, les ministères, les commissions scolaires... Et s'intéresse non seulement à la collusion, à la corruption, mais aussi au financement politique. Je ne vois pas comment elle pourrait remettre son rapport en octobre 2013 - ni comment le gouvernement pourrait lui refuser une prolongation.

Organiser le chaos des affaires qui s'empilent dans ses bureaux, n'en conserver que les plus significatives pour nous raconter une histoire qui se tient: ce défi-là est colossal.

C'est à ça que s'activent des dizaines de personnes tandis que, cette semaine, on se contentera de faire un peu de pédagogie sur fond hollywoodien...

Pour joindre notre journaliste: yves.boisvert@lapresse.ca