La course était à midi et demi. Ça donne le temps de se préparer. Ça donne le temps de penser.

Andréanne Morin a revu en flash les deux dernières années, passées à London, Ontario, avec l'équipe de huit d'aviron. Un exil volontaire: elle a décidé de revenir à l'aviron en 2010 pour effacer cette quatrième place de Pékin. Mais un exil quand même. Pas revu Montréal depuis septembre 2011.

On s'est retrouvés dans la même navette pour se rendre au bassin, deux heures avant le départ. Les huit étaient dans leur bulle. À peine un salut. Elle écoutait son iPod. «Let's go... We're in this together...»

Dans le bateau, c'est la chef de nage, celle qui rame directement devant la barreuse, la seule qui la regarde. Darcy Marquart, derrière elle, l'a touchée dans le dos, pour dire: tout ira bien. On ira ramer dans le «sweet spot», cet équilibre idéal entre l'effort maximum et la relaxation - le mot «relaxation» pour un athlète de haut niveau en train de se vider, ça ne veut pas dire la même chose que pour vous et moi...

Dès le départ, les Américaines ont pris une seconde et demie. Même les Néerlandaises étaient devant. Troisièmes au 500 m.

Mauvais départ?

«Non, ce sont les Américaines qui ont eu un départ formidable», dit celle qui affichait le plus clairement sa déception, la barreuse Lesley Thompson-Willie, 55 ans, qui part après 35 ans d'aviron. Elle y croyait vraiment, à l'or: elles sont arrivées à 3 centièmes des Américaines ce printemps à Lucerne...

Les autres, si elles étaient déçues, le cachaient bien. C'était la rigolade sur le quai flottant où l'on remet les médailles devant les gradins (et où elles arrivent... en ramant).

Ce n'était pas l'or, d'accord, mais surtout ce n'était pas Pékin. Les filles voulaient battre les Américaines. C'était faisable. Mais personne ne l'a fait depuis 2006. Alors l'argent fera l'affaire. Très bien.

Il restait encore 500 mètres et Andréanne Morin a vu des maillots orange sur sa droite. Ça lui a rappelé la fin de la course à Pékin 2008... le 8 féminin canadien en avance qui se fait reprendre et les Néerlandaises qui partent avec le bronze...

«J'ai pensé à toutes les femmes qui étaient avec moi à Pékin et je me suis dit: elles ne me le pardonneront jamais si on se fait remonter encore. J'ai augmenté la cadence...»

Dans les derniers 500 mètres, les Canadiennes ont repris une demi-seconde aux Américaines. C'était assez pour distancer les filles en orange, mais pas assez pour l'or.

«Andréanne, c'est le roc de l'équipe, dit Lesley. Elle a un calme et un rythme incroyables.» Elle ne voit qu'elle, forcément, alors elle jauge sa respiration, le mouvement de ses épaules, pour estimer l'état de l'équipage.»

C'est la fin, donc, pour Thompson-Willie, qu'Andréanne Morin appelle une «légende» de l'aviron (sept Olympiques depuis 1984, cinq médailles, dont l'or en 1992).

«Vous savez, j'adore ça, j'ai un congé sans solde de ma commission scolaire, mais un moment donné, aller courir dans la neige le jour de Noël, il faut que ça cesse; si c'était du hockey ou du tennis, elles continueraient, mais il faut gagner sa vie...» Seules les deux plus jeunes continuent.

Andréanne Morin, elle, retourne à la faculté de droit de l'Université de Montréal, qu'elle n'a pas revue depuis deux ans.

L'entraînement 50 semaines sur 52, le cardio 16 à 20 heures par semaine, beau temps, mauvais temps, les poids, les circuits, les réunions, c'est derrière elle.

«Cette médaille-là, c'est la preuve matérielle que j'ai bien fait de revenir, mais on ne peut pas le savoir, deux ans à l'avance. Ce que je peux vous dire, c'est qu'il n'y a pas une once de chance dans cette médaille.»

Vous n'étiez pas là, mais à voir ses yeux, à votre place, je ne contredirais pas cette fille-là.