«Quand ça ne va pas, sa mère lui dit: «Un éléphant, ça se mange par petites bouchées».

Andréanne Morin en a fait sa devise. Et, pour se rendre à ses troisièmes Jeux olympiques, elle en a bouffé, de l'éléphant.

Longtemps, les filles de l'équipe du huit de pointe d'aviron ont eu en travers de la gorge leur quatrième place aux Jeux de Pékin. Elles étaient en tête aux trois quarts de la course, la médaille semblait assurée... Elles ont été remontées dans les derniers mètres... Et finalement été coiffées à la toute fin. Andréanne Morin a décidé d'abandonner.

«Je ne parlerais pas d'abandon, mais de retraite», me corrige l'athlète avec du feu dans les yeux, mais je vois bien qu'elle pourrait l'avoir ailleurs à ma prochaine gaffe. Deux Jeux olympiques, des milliers d'heures d'entraînement... Abandon?

Désolé, vraiment.

«Retraitée» pendant deux ans, donc, elle a commencé ses études en droit à l'Université de Montréal. Vous avez peut-être deviné que ce n'est pas pour devenir notaire. «J'adore le litige, on est deux devant le juge, le chrono qui part... Mon côté compétitif.»

Mais Londres s'annonçait. Il y avait ce nouveau coach australien. Et cette foutue quatrième place comme une blessure...

Elle est remontée à bord. Ça voulait dire s'installer à London en 2010, avec l'équipe nationale, vivre en communauté avec les autres filles. Mettre en veilleuse sa troisième année de droit pendant deux ans.

Et s'entraîner comme des folles. À coups de trois sorties par jour (40 km de rame), six jours par semaine, sans compter la musculation et un peu de course à pied la septième journée, les ampoules aux mains, les matins de frimas sous la pluie...

Il en reste quatre sur les neuf de Pékin (dont la «neuvième», la barreuse Lesley Thompson-Willie).

Elles n'en font pas mystère: elles sont ici pour l'or.

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Sauf que depuis 2006, les Américaines n'ont perdu aucune course. Nulle part. Même en qualifications. Jamais.

Jamais? Sauf hier. Ça ne compte pas, parce que les deux équipes étaient dans des vagues différentes, donc pas l'une contre l'autre. Et puis une bourrasque peut changer la donne. Sauf qu'elles ont eu un meilleur temps quand même par presque une seconde. Ça fait du bien au moral. «Une bonne course... qui peut semer le doute», dit Andréanne Morin avec un sourire contenu.

Surtout que tout juste au mois de mai, les Canadiennes ont raté la première place à la Coupe du monde par... trois centièmes de seconde.

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Jeudi, jour de la finale, tout est vraiment possible au lac Dorney, un bassin qui appartient à Eton, le plus huppé collège d'Angleterre, qui éduque les enfants des aristocrates et de la haute bourgeoisie depuis le XVe siècle.

Il y a longtemps qu'on a délaissé la Tamise, qui a vu naître ce sport et où les épreuves se tenaient en 1908 et 1948.

Nous sommes en pleine campagne, à une heure de Londres, pas très loin du château de Windsor. On passe devant des maisons de ferme à colombages. Mille moutons ont les meilleurs billets pour le départ des courses, à un bout du bassin. Je dis 1000, mais il faudrait demander aux Anglaises, elles ont failli s'endormir en les comptant, et c'est de justesse qu'elles participeront au repêchage.

On n'a pas idée de la popularité de l'aviron ici. Les gradins sont pleins à craquer, il y a des gens debout (35 000 en tout) ... Et ce sont les qualifications.

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Petite, Andréanne Morin rêvait d'une médaille, mais en ski. À 15 ans, pendant une compétition de descente, elle a subi une fracture ouverte du tibia. Opération, plaque de métal, mal au genou... C'était foutu, fini.

L'année suivante, son père, Georges Morin (un des fondateurs de Cossette), lui a suggéré l'aviron. Il avait essayé ça sur la rivière Charles, un été, en suivant des cours à Harvard... Un autre des lieux mythiques de l'aviron.

Elle a aimé glisser à toute vitesse à la surface de l'eau, les bulles qui montent... Et elle a été forte, tellement qu'elle s'est retrouvée dans un prep school américain, puis à Princeton (équipe gagante en NCAA), et quelques éléphants plus tard, aux Jeux olympiques.

La fille du lac Memphrémagog a la position clé: elle est chef de nage. Elle rame tout à l'arrière, devant la barreuse. Elle impose le rythme. Toutes les autres s'ajustent dans son dos. «Ma force, c'est le rythme». Un rythme que tout le monde doit épouser pour atteindre la parfaite fluidité. Des fois 45 coups/minute. Des fois 38... Mais sans casser, toujours fluide.

Sa force, c'est aussi ce feu. «Je suis un terrier!» C'est une race canine particulièrement intense qui n'a peur de rien.

«La dernière chose à lui dire après une défaite: c'est pas grave, t'es venue aux Jeux, tu as participé», me confie sa mère, Anne Robert.

Avis soit donné: cette fille est ici pour gagner.

Photo: AP

Andréanne Morin, tout sourire, en compagnie de ses coéquipières du huit de pointe d'aviron.