Je suis sorti du stade à la lettre C et j'ai marché à contresens de la file de milliers d'athlètes qui attendaient leur tour par ordre alphabétique.

Pauvre Zimbabwe (les Anglais sont à la maison, ils seront contents de rentrer à la fin).

Une nuit fraîche, presque parfaite, même pas la pluie annoncée. Tout semblait couler de source, aucune cohue, aucune bousculade sur l'immense esplanade où ils s'alignaient, entourés de fans.

Presque parfaite, comme au fond l'organisation de ces Jeux olympiques jusqu'à maintenant.

Je sais bien: on n'est qu'au jour 1. Mais souvent, c'est au départ que le bordel s'installe.

De l'arrivée à l'aéroport jusqu'aux transports en passant par les contrôles de sécurité, tout roule avec une étonnante fluidité.

Songez qu'il y a deux semaines, la firme de sécurité G4S, embauchée depuis longtemps et à grands frais pour assurer la sécurité, s'est avouée incapable de faire le boulot.

Euh, excusez, on n'est pas capables, a dit le président.

Le gouvernement a mobilisé 3500 soldats, et on les voit partout à l'entrée des sites de compétition.

À deux semaines d'avis...

Je ne sais pas si on leur a donné un cours accéléré de bonne humeur ou s'ils sont seulement contents de sortir de leur caserne, mais on a même le droit de blaguer avec eux.

Enfin, pas trop, quand même. Un collègue allemand qui avait pris des photos du contrôle de sécurité à l'arrivée des autobus des médias au centre de presse s'est fait rejoindre rapidement par deux soldats. Ils lui ont gentiment ordonné d'effacer sa photo, comme si on était dans les voûtes du MI-6.

On sait un peu la difficulté de rouler dans les rues de Londres en temps normal. Mais même en partant à l'heure de pointe un vendredi, la navette roule dans les «voies olympiques» comme si on était un dimanche matin. Sans causer de chaos autour. Le degré zéro du bouchon. Les Londoniens doivent tous être terrés chez eux ou alors ils ont fui la ville, ou ils sont d'une discipline civique au-dessus de la moyenne, mais toujours est-il que ça fonctionne.

C'est la troisième fois que Londres accueille les Jeux, mais la dernière remontant à 1948, avant même la télé, aussi bien dire pendant la préhistoire, c'est comme si c'était la première. Ils nous parlent déjà fièrement de l'esprit d'entreprise britannique et de la riche tradition sportive (quel sport n'a pas été inventé ou développé ici?).

Ce n'est pas totalement exagéré. Ils le cultivent, cet esprit. Ils en font un thème de cérémonie. Pas question d'aller concurrencer Pékin dans la magnificence, hier. Sans être modeste, ce serait une cérémonie qui raconterait l'histoire, ou plutôt des histoires, mais toujours en voulant dégonfler le pompeux propre au genre «cérémonie d'ouverture» par quelques traits d'humour et d'autodérision.

Ils cultivent l'esprit britannique? Ils le portent en bandoulière. J'avoue que ça ne me déplaît pas du tout.

On l'entend au café, quand la serveuse dit: «Je suis sincèrement désolée d'avoir écouté votre conversation, mais vous voulez deux cafés au lait, je crois?»

On le lit dans les jugements. Hier, la High Court a rendu une décision importante pour la liberté d'expression sur les médias sociaux. Un jugement qui aura un retentissement international, mais tellement, tellement britannique dans sa manière et sa conclusion.

C'est l'histoire d'un type qui s'était fait condamner pour avoir écrit sur Twitter qu'il allait faire sauter l'aéroport Robin Hood de la ville de Doncaster. Il allait retrouver sa copine et était exaspéré de l'annulation de son vol à cause du mauvais temps. En lisant la conversation avec la copine en question («@Crazycolours»), on voit immédiatement qu'il s'agit d'une blague destinée au groupe restreint qui le suit. Pas drôle, mais blague quand même.

Les autorités de l'aéroport n'ont d'ailleurs rien vu de terriblement grave là-dedans, et ce n'est que cinq jours plus tard que le type a été arrêté. Il a été condamné pour «propos menaçants communiqués par des moyens électroniques».

Hier, la High Court a cassé ce jugement et acquitté l'homme: «Les commentaires iconoclastes ou satiriques, ou brutaux, l'expression d'idées impopulaires ou déplaisantes sur des sujets sérieux ou insignifiants, le badinage ou l'humour, même de mauvais goût ou pénible, doivent pouvoir continuer à circuler à leur niveau habituel sans être entravés par la loi.»

Et la Cour d'ajouter: «Nous devrions peut-être préciser qu'il est encore permis de citer Shakespeare en version non censurée sur Twitter - lui qui suggérait notamment de tuer tous les avocats.»

Le pays a beau avoir connu plusieurs épisodes de terrorisme et vivre sous une sorte de tension permanente, restons calmes, sachons sourire encore, différencier l'idiotie du terrorisme. Et n'oublions pas le vieux Will.

Ils vont bomber le torse national, c'est déjà commencé. Mais de un, si les pays hôtes n'avaient pas le droit de se trouver bons, au prix que ça coûte, il n'y aurait pas de Jeux olympiques. De deux, vu que c'est plutôt très bien parti, ils en ont doublement le droit.

Et puis, comme disait Sebastian Coe, c'est leur «moment». De briller et de se trouver un peu meilleurs que d'habitude. Comme le moral national est plutôt à plat ces temps-ci, ça va faire changement...

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