Ce n'est pas l'idée que je me faisais d'élèves «en troubles graves d'apprentissage», comme ils disent.

Ils étaient une douzaine de gars et de filles à l'avant de la grandiose salle principale de la Cour d'appel du Québec, dessinée par Ernest Cormier. Togés. Ils plaidaient devant trois vrais juges. C'était la finale d'un concours oratoire un peu particulier qui avait mobilisé les élèves de quatrième secondaire de l'école Vanguard, à Laval.

Un peu particulier? Pas tant que ça, en fait: à part le décor, il y avait deux équipes, un sujet de débat, des juges, un trophée, des parents et des élèves plein la salle... Classique, en somme.

Ce qui est particulier, c'est que quand on va à l'école Vanguard, on n'est pas vraiment censé se retrouver dans cette salle somptueuse et être écouté par des juges candidats à la Cour suprême.

On se fait dire généralement qu'on n'est pas vraiment bon à l'école. Et de fait, il faut avoir un ou deux ans de retard sur les élèves «normaux» pour être admis à Vanguard. Ça veut dire qu'on est dyslexique, dysphasique, Asperger et autres diagnostics. Ça signifie surtout qu'on a souvent entendu quelqu'un dire qu'on est un paresseux, un pas bon, un «dans la lune». Ou qu'on vous a regardé comme tel.

Ils étaient donc là ce printemps, et je les écoutais avec tous mes préjugés.

Eh bien... Ils plaidaient mieux que certains membres en règle du Barreau, si vous voulez mon avis. Sauf que plaider, on peut s'entraîner pour ça. Y aller d'un élan oratoire appris, c'est bien.

Mais qu'allait-il arriver quand la juge Marie-France Bich leur balancerait une question piège?

Il arriverait qu'ils répondraient du tac au tac, des fois en se grattant la tête, ce qui est un signe d'intelligence, mais sans flancher.

«Ce n'est pas parce qu'un élève a des troubles d'apprentissage qu'il n'est pas intelligent», dit Pierre Poupart. L'avocat que tout le Québec a découvert l'an dernier dans l'affaire Guy Turcotte avait une fille à l'école Vanguard. En écoutant Écris, une chanson de Richard Séguin écrite par Charly Bouchara («Écris sur les murs des ghettos/Écris pour scier les barreaux/pour les mains qui ne peuvent plus» ...) il a eu un flash.

Il allait proposer à l'école un concours oratoire autour de l'écriture. Et ça se ferait à la cour. Pour de vrai.

Le thème? «De l'utilité ou de la futilité de la défense de l'écriture dans la défense des droits humains.»

Quand il a présenté l'idée aux profs et au directeur, ils l'ont trouvé un peu cinglé. Hé, Me Poupart, c'est sympathique, mais on est à Vanguard, pas à Harvard... Voici justement des jeunes dont plusieurs ont des difficultés avec l'écrit, mêlent les lettres et les chiffres. Et si on se cassait tous la gueule avec ça?

Son mélange d'enthousiasme et d'exaltation a vite achevé de convaincre tout le monde. Il appellerait deux amis, criminalistes bien connus (Michel Massicotte et Claude Girouard), pour entraîner les équipes, préparer des mémoires. Et obtiendrait une permission de la Cour... Et des juges. Et c'est parti.

Les profs de français leur ont fait lire des textes philosophiques, la Déclaration universelle des droits de l'homme, des blogues, des vidéos. Les uns plaidaient que l'écriture est le moyen ultime de défense des droits. Les autres plaidaient pour la force de la parole et de l'image. Les finalistes de chaque camp iraient au palais.

Les juges Bich, François Doyon et Carole Brosseau ont délibéré et sont revenus avec un jugement d'une page, qui réconciliait brillamment tout le monde. Malgré une «apparente opposition», la promotion des droits de la personne passe par l'expression, sous toutes ses formes. «Il est un temps pour la parole, un temps pour l'écrit, un autre pour l'image ou l'agir, tout comme il est un temps où ces approches doivent être conjuguées pour être véritablement efficaces.»

Le trophée est allé à l'équipe «de la futilité». Mais pour tout le monde, l'école a cessé d'être plate pendant un bon bout de temps, a dit un père.

«Les gens m'appellent Me Johnston pour rire», dit Patrice, un des participants qui veut être avocat. «On s'est vraiment dépassé grâce aux profs, parce qu'au début, on ne comprenait rien, le sujet était tellement vague.»

La semaine dernière, lors de la remise des prix d'excellence, ils sont tous montés sur scène. «C'était beau à faire pleurer, dit Pierre Poupart. Si on enseigne bien les matières de base et qu'on réussit techniquement, on n'a relevé qu'une partie du défi de l'éducation. Il reste la culture. Si un travailleur de la construction jase de Platon à l'heure du lunch, je trouve qu'on a une société plus intéressante.»

En tout cas, une cinquantaine d'élèves ont eu une année plus intéressante. Parce qu'un indécrottable idéaliste les a embarqués dans une aventure un peu exagérée. L'idéalisme, finalement, ça permet de rendre possibles des choses insoupçonnables. Ça change le réel.