À peine savait-on que Luka Magnotta allait comparaître cette semaine à Montréal que déjà tout le palais de justice bruissait de la rumeur habituelle: ce sera un cas pour Marc Labelle.

Depuis 30 ans qu'il est dans le métier, cet avocat de la défense a eu comme clients à peu près ce que l'humanité de notre coin de planète nous a montré de plus sordide et de plus terrifiant.

Il a été l'avocat de plusieurs tueurs en série, dont William Fyfe, condamné pour cinq meurtres; Angelo Colalillo, un psychopathe qui a tué et violé trois jeunes filles; Michael McGray, qui prenait plaisir à assassiner des homosexuels et qui a été condamné pour 3 meurtres, mais en a confessé 16 autres. Il a représenté Karla Homolka aux libérations conditionnelles.

Il a défendu Hugo Bernier, assassin de Julie Boisvenu, fille du sénateur Pierre-Hugues Boisvenu. Ainsi que Paul Laplante, qui s'est suicidé en prison avant son procès pour le meurtre de sa femme, Diane Grégoire. Il a représenté un homme accusé d'inceste sur ses cinq enfants et de bestialité. Et j'en passe. À côté de cette sorte de spécialité involontaire, on l'a vu également dans des dossiers de fraude et, tout récemment, dans celui de l'ex-lieutenante-gouverneure Lise Thibault.

Mais, non, ce ne sera pas l'avocat de Magnotta. Pas parce qu'il refuserait ce type de client. Simplement parce qu'il n'en a pas le temps.

D'où lui est venue cette réputation de défenseur des accusés les plus monstrueux? Est-ce parce qu'aucun autre avocat n'en veut?

Sa réputation s'est faite un peu par accident, au début de sa carrière, dit-il, quand il a défendu un détenu accusé dans l'affaire de l'émeute du pénitencier Archambault, où trois gardiens ont été assassinés. «Mon client avait attaqué un gardien, mais était accusé d'en avoir tué un autre à qui il n'avait rien fait.» Le juge Jean-Guy Boilard a imposé l'acquittement au jury. On était plus à cheval sur la forme, à l'époque, et sans doute un tel acquittement serait-il impossible aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, la carrière de Marc Labelle était lancée.

«Les gens accusés de crimes graves aboutissent là et après cet acquittement, ma réputation s'est faite dans le milieu. C'est aussi simple que ça. Ils savaient aussi que je ne suis pas un avocat impressionné par la pression populaire.»

Contrairement à certains collègues qui répugnent à certains types de criminels, Marc Labelle ne refuse «aucune cause sauf si [son] agenda est plein». Et se fout bien que la cause soit impopulaire.

«Je suis criminaliste pour tout le monde. Point. Je défends des gens, je n'épouse pas leur cause. Ce qui m'intéresse, c'est l'aspect juridique d'une cause. Je suis là pour m'assurer que la preuve a été recueillie légalement et que si mon client plaide coupable, c'est pour le vrai délit.»

Chaque party de Noël amène «l'éternelle question de la dinde», dit-il: comment fais-tu pour défendre quelqu'un qui t'a avoué son crime?

La réponse, c'est qu'il ne pose pas la question. Il vérifie la preuve contre l'accusé. Et demande sa version au client. «Si ce qu'il me dit donne ouverture à une défense, on la présente. Sinon, on règle. Il y a toujours quelque chose à négocier.» Quand Fyfe a échoué à contester les tests d'ADN, il s'est avoué coupable de cinq meurtres prémédités. Mais il a obtenu d'être détenu dans un pénitencier de l'Ouest.

«Si la police recueille une preuve illégalement et que ça entraîne un acquittement, ce n'est pas de ma faute. Mais il y a des acquittements que j'aime moins que d'autres, c'est sûr. Des fois, l'accusé a fait des aveux et s'en sort. Je me demande: est-ce que la protection des droits des citoyens en général valait cet acquittement? Et la réponse est toujours oui. Quand un citoyen ordinaire est arrêté sur l'autoroute, il en bénéficie indirectement. Il fera face à une police honnête, qui n'abusera pas.» Parce qu'on sait que son travail sera passé à la loupe par un Marc Labelle.

Depuis 30 ans, les techniques policières ont fait un bond de géant et pour lui, c'est le résultat direct des nouvelles exigences issues de la Charte des droits. «Les enquêteurs étaient plus instinctifs. Des policiers brutaux, il y en avait. Maintenant, les interrogatoires sont filmés. Pas parce que les policiers le voulaient. Parce que des juges comme Jean-Guy Boilard le leur ont imposé. Les enquêteurs maintenant sont instruits, ils utilisent la psychologie et le langage au lieu du bottin de téléphone!»

Et ça, c'est en partie l'effet de la défense de gens horribles.