Si un juge de la Cour suprême des États-Unis mourait demain d'une crise cardiaque, la vie politique du pays pourrait en être bouleversée.

D'ici peu, le plus haut tribunal américain rendra sa décision sur la constitutionnalité de la loi Obama sur la santé. On s'attend à ce que le jugement soit extrêmement partagé, probablement cinq juges contre quatre. Plusieurs analystes croient que la cause est déjà perdue pour l'administration Obama. Ils s'attendent à ce que les quatre juges conservateurs la déclarent invalide, que les quatre juges plus progressistes la confirment, et que le neuvième, Anthony Kennedy, celui qui fait ou défait les majorités, penche du côté conservateur.

Cette décision aura un impact non seulement sur la vie des Américains, mais également sur la campagne électorale pour la Maison-Blanche.

Imaginons un instant que le juge Kennedy meurt dans un accident de voiture, ou qu'Antonin Scalia, peut-être le conservateur le plus tonitruant, meurt d'un infarctus.

Les conséquences politiques seraient immédiates. D'abord, quant au jugement à rendre. Ensuite, quant à la nomination du remplaçant. La Cour est actuellement dans une sorte d'équilibre entre deux factions ennemies, avec Kennedy qui penche régulièrement du côté conservateur, mais qui demeure imprévisible. L'enjeu serait colossal.

Pendant ce temps, au Canada, la juge Marie Deschamps annonce sa retraite de la Cour suprême. Le fait est à peine noté dans les médias, pas discuté le moindrement.

Ironiquement, cette juge québécoise a signé un des jugements les plus controversés de la Cour suprême: l'affaire Chaoulli. Un jugement censé bouleverser le système de santé canadien en déclarant que l'interdiction d'assurer les services de santé au privé était une violation du droit à la vie. Jugement fortement divisé (4-3) ... qui n'a pratiquement eu aucun effet mesurable sur le terrain. Du moins, il n'a pas ouvert l'espace privé en santé comme on l'avait annoncé.

Voici donc la juge Deschamps qui quitte la scène après 10 ans à la Cour suprême. On l'a vaguement classée à droite, disons au centre droit, mais à bien y regarder, c'est essentiellement une pragmatique qui quitte la Cour. On ne la verra pas écrire un jugement sur les droits des accusés avec son sang... Mais on ne la verra pas non plus se ranger systématiquement du côté de l'argument policier.

Tout cela pour dire une fois de plus l'extrême différence entre notre Cour, supposément «américanisée», et celle des États-Unis.

Qui donc va remplacer Marie Deschamps?

Le débat est réservé aux spécialistes, aux gens du milieu judiciaire, et il n'intéresse même pas la classe politique.

Il ne faudrait pas souhaiter que le politique s'y intéresse passionnément. La politisation de la Cour suprême des États-Unis lui a fait perdre son prestige non seulement dans le monde, mais aux États-Unis aussi. Les sondages montrent une perte de crédibilité de l'institution dans les 20 dernières années.

Une étude américaine a également montré cette année que les jugements de la Cour suprême des États-Unis sont de moins en moins cités ailleurs dans le monde. Au contraire, a noté cette étude avec admiration, la Cour suprême canadienne fait maintenant figure de leader intellectuel, de référence du moins, pour plusieurs tribunaux dans le monde.

Comment sera choisi le remplaçant de la juge Deschamps?

Autrefois, c'était la prérogative du premier ministre, qui décidait après diverses consultations opaques de son ministre de la Justice.

Paul Martin a donné un peu de transparence au processus. Après un modèle assez lourd qui impliquait des universitaires, des représentants des barreaux et des élus, le gouvernement est revenu à un comité de sélection formé de cinq députés (trois conservateurs, un libéral, un néo-démocrate). Il dresse une liste de trois candidats, et le premier ministre choisit. Ainsi ont été choisis les deux juges ontariens nommés l'automne dernier.

Les noms qui circulent le plus? Trois juges de la Cour d'appel du Québec. Marie-France Bich, ex-professeure de droit à l'Université de Montréal, un des meilleurs cerveaux de la Cour. Nicolas Kasirer, ex-doyen à McGill. Et Yves-Marie Morissette, aussi ancien prof de droit à McGill. Trois candidats de fort calibre intellectuel, tous passés directement de l'université à la Cour d'appel.

Le gouvernement voudra peut-être pour remplacer la juge Deschamps une ancienne praticienne comme la juge Marie Saint-Pierre, candidate formidable, même si elle vient à peine d'atterrir à la Cour d'appel.

Les juges France Thibault, François Doyon et Pierre Dalphond, également de la Cour d'appel (bassin normal de recrutement), sont aussi des candidats.

Il arrive qu'un avocat soit nommé directement, mais les exemples sont rares et l'adaptation souvent brutale. On ne peut pas exclure non plus une nomination de la Cour supérieure, mais avec des candidats comme ceux qu'on trouve à la Cour d'appel, ce serait fort étonnant.

Ce qui serait encore plus étonnant, c'est que cette nomination fasse la moindre vague sur l'océan politique canadien.