C'est autre chose qu'un meurtre filmé. C'est un meurtre commis pour être filmé. C'est en cela que ce crime va au-delà de l'horreur d'une manière tout à fait contemporaine. Sans diffusion, il n'a aucun objet. L'assassin a tué et démembré un homme pour le montrer au plus grand nombre.

Un imbécile qui gère un site internet sinistre de «vrais crimes» a accueilli cette vidéo sans broncher la semaine dernière. Et l'a diffusée.

«Je n'avais pas de preuve que la vidéo était véridique et il y avait de nombreuses spéculations selon lesquelles c'était une blague faite par quelqu'un qui a accès à des cadavres, comme un employé de morgue», dit Mark Marek.

Ah, seulement «accès à des cadavres»... Comme s'il était permis de mutiler des cadavres! C'est un crime, jusqu'à nouvel ordre. Alors, si c'est «une blague», c'est quand même un cas de 9-1-1!

Mais maintenant, ce Marek en question, qui habite Edmonton, sait que ce n'est pas «une blague». Il sait que c'est le meurtre d'un être humain «pour de vrai». Va-t-il retirer la vidéo de son site? Pas du tout.

«Si on enlevait la vidéo, ce serait comme de jouer à l'autruche à propos d'un événement réel qui s'est passé dans notre environnement», a-t-il dit à ma collègue Gabrielle Duchaine.

«Est-ce que cela serait une solution à quoi que ce soit? Est-ce que le fait de prétendre que la vidéo n'existe pas rendrait le monde meilleur? Est-ce que le fait de prétendre que Luka n'est pas capable de faire quelque chose d'aussi horrible en ne montrant pas sa vraie nature le rendrait moins dangereux?»

Non, ça rendrait le monde non pas meilleur, juste un peu moins laid.

Plein de choses sont «des événements réels» et on ne les montre pas. La pornographie juvénile est très réelle. La diffuser est un crime, pourtant.

Oui, mais dans le cas de la pornographie juvénile, le crime est la création, la possession ou la diffusion de l'image. Tandis qu'ici, il s'agit de la diffusion d'images d'un meurtre. Le crime, c'est le meurtre, pas l'image.

Distinction oiseuse en 2012. D'abord, ce crime a été commis pour être diffusé. C'est un acte de narcissisme morbide. Le diffuser, c'est non seulement en multiplier l'effet, c'est lui donner son sens. Accomplir l'oeuvre du meurtrier.

C'est très différent d'une photo de police prise après le crime. La vidéo n'est pas le témoignage du meurtre, c'en est la raison d'être.

Faut-il être dépourvu de toute humanité pour laisser voir le démembrement d'un être humain commis par un sadique, sous prétexte que «ça existe» ? Laisser sa famille vivre avec l'idée que ce crime est contemplé partout dans le monde, par des voyeurs morbides, mais sans doute aussi quelques maniaques?

Y a-t-il des moyens juridiques d'empêcher cela? Oui.

Le professeur Pierre Trudel, de l'Université de Montréal, est spécialiste du droit de l'information. La loi américaine dégage les sites du genre de celui de Marek de toute responsabilité - aux États-Unis. Ces sites, qui ne font que mettre en ligne les vidéos envoyées par les usagers, ne sont pas responsables de la diffamation ou des autres illégalités qu'ils contiennent.

Au Québec, par contre, une loi adoptée en 2001 dit que ces sites n'ont pas l'obligation de surveiller, mais que s'ils sont mis au courant d'une dérogation, ils doivent agir et retirer le contenu.

Mais plus directement, le Code criminel interdit la diffusion de matériel obscène. On pense généralement à de la pornographie, mais le matériel touchant à l'horreur, la cruauté et la violence est aussi visé.

Rémy Couture, spécialiste des effets spéciaux, est d'ailleurs présentement accusé d'obscénité pour avoir produit un film d'horreur - ce qui est très contestable dans un contexte artistique.

Mais ici, ce n'est pas de la fiction: c'est pour de vrai.

Quand le crime a été créé, on visait la fiction qui dépasse «le seuil de tolérance de la société canadienne», comme ont dit les tribunaux.

Personne n'imaginait qu'on fabriquerait un jour un meurtre en tant que matériel obscène.

On ne pensait pas qu'un jour quelqu'un serait assez malade pour faire ça. Mais songez que d'autres sont assez malades pour tenter de justifier cette diffusion.

De toute manière, c'est une diffusion criminelle. Mais à la lumière des événements, il est temps de créer un crime spécifique pour la diffusion de crimes par vidéo. Comme on l'a fait avec la pornographie juvénile, crime relativement récent.

Il ne suffit pas de dire aux enfants - et aux autres: ne regarde pas ça. Il faut que ce soit clairement illégal.

On n'a pas le droit de montrer ça.