On le croyait blessé gravement, traumatisé crânien et, finalement, mort.

Sur Twitter, tout le monde y allait d'une «information» supplémentaire totalement gratuite. Et tout un chacun de relayer la rumeur.

On cherchait son nom. On accusait la police de camouflage.

Et pendant ce temps, le principal intéressé se reposait chez des amis à Québec. Aucune idée de ce qui se disait - il n'est ni sur Twitter ni sur Facebook!

Notre collègue Tristan Péloquin l'a retrouvé à Québec. Il s'appelle Sébastien Tranchard. Il est en parfaite santé. Il a subi toutes sortes de tests et, sauf des coupures, n'a conservé aucune séquelle.

Il n'en reste pas moins qu'il a été brutalisé. Le 20 mai, pendant une manif à Montréal, il a refusé de circuler: il s'est interposé devant un policier qui tentait de repousser un jeune manifestant avec son vélo, le 20 mai à Montréal. Un policier l'a alors plaqué par derrière. La scène a été filmée et mise sur YouTube.

Il s'est effondré, a perdu connaissance et est parti en ambulance. La Presse l'a photographié, la tête ensanglantée, immobilisé sur un brancard.

Mais ni traumatisme crânien ni coma.

La police avait beau répéter que l'homme avait eu son congé de l'hôpital, la version officielle était mise en doute. Pourquoi ne le nommez-vous pas? La loi, dit la police de Montréal, interdit de nommer les gens tant qu'ils n'ont pas comparu. L'homme est accusé d'entrave au travail d'un policier et de... tentative de vol de la bicyclette du policier (il a une bonne défense pour celle-là!).

On peut contester cette interprétation de la loi, mais la police suit invariablement cette ligne de conduite: elle ne nomme pas avant le passage en cour sauf, évidemment, si un criminel est recherché. Je ne peux pas «décider de violer cette règle quand ça arrange l'image de la police», dit Ian Lafrenière, porte-parole du SPVM.

Je résume: Sébastien Tranchard a été blessé «lors de son arrestation». Mais pas gravement. La rumeur a pris des proportions absurdes. Et il a fallu une entrevue avec le mort pour la tuer.

Et encore, il s'en trouve pour dire: pas grave, on ne faisait que poser des questions! C'est la faute à la police...

Ce qui nous ramène à la maintenant très vieille question: comment combattre les rumeurs à l'ère des réseaux sociaux, un jeu où personne n'est l'arbitre?

La réponse des journalistes, tout aussi classique: fiez-vous à nous.

C'est effectivement une excellente idée. Il y a des gens payés pour vérifier les informations, démêler le vrai du faux et présenter des excuses (en principe) quand ils se trompent. Ça s'appelle des journalistes. Le travail de Tristan Péloquin et Martin Leblanc en est un exemple éloquent.

Dans le magma des informations qui circulent sans entrave sur le Net, il y a des points de repère et de référence. Les médias soumis aux normes journalistiques. Des normes qui ont émergé lentement à la fin du XIXe siècle, à une époque de foisonnement délirant de quotidiens et de feuilles de chou. Et où le besoin de fiabilité et de responsabilisation s'est manifesté de manière un peu urgente.

Voilà du moins la morale commode que nous autres, journalistes patentés, répétons de colloque en colloque.

J'y adhère, bien entendu. Mais ce n'est qu'une partie de la réponse.

La conversation sur les réseaux sociaux est comme toutes les autres entre les humains. Souvent désordonnée, pleine de débordements, d'exagérations, il y a des mensonges, des erreurs... Mais à la fin, une certaine raison finit par prendre le dessus. À la condition que des gens raisonnables y participent, évidemment...

Si on ne croit pas à ça, fermons d'urgence la démocratie.

Les représentants des institutions qui se lamentent au sujet de ce flux de rumeurs, comme les générations précédentes se plaignaient et se plaignent des médias traditionnels, n'ont qu'une chose utile à faire: embarquer dans la discussion.

Le Service de police est un excellent exemple. Le SPVM twitte abondamment. Pour suivre les manifs. Pour répondre à des questions. Pour diffuser des infos.

Il n'a pas le droit de mentir. Et le «cover up» est plus difficile que jamais. Les policiers sont soumis à une surveillance «citoyenne» redoutable.

Ça n'empêche pas tous les hurluberlus de répandre toutes sortes de faussetés. Mais les gens raisonnables (la majorité, j'espère!) concèderont que ce qui est diffusé est plutôt vrai... Et cette espèce d'autorégulation chaotique se mettra en branle dans la discussion.

On n'est plus au temps où la vérité pouvait s'imposer d'autorité. Mais l'appétit général pour l'exactitude des faits n'a pas diminué.

Il y en aura toujours pour alimenter les sombres complots. Mais ce n'est pas parce qu'un loustic avec sept abonnés répand une rumeur que Twitter au complet est délirant.

C'est à la majorité raisonnable qu'il faut s'adresser. Et inviter à la discussion.