Une prédiction: cette commission va demander avant Noël un prolongement de son mandat.

Il est humainement impossible, même avec l'équipe d'étoiles rassemblée autour de la juge France Charbonneau, d'accomplir ce mandat dans les 17 mois qui lui restent.

On aurait pu croire que la commissaire Charbonneau aurait profité de sa déclaration d'ouverture pour cadrer de manière un peu plus serrée.

La commissaire a rappelé que son mandat couvre les 15 dernières années; qu'il vise tous les contrats de construction (ce qui va du tirage de joints à l'excavation aux barrages hydroélectriques en passant par les ponts et chaussées) passés par un «organisme public». Ce qui comprend les 1476 municipalités, Hydro-Québec, la SAQ, Loto-Québec et j'oublie quelques ratons laveurs.

PLUS: la Commission a le mandat d'étudier l'infiltration du crime organisé dans la construction en général, donc dans toute l'industrie.

Et ensuite de faire des recommandations, en regardant ce qui se fait ailleurs. Car, au cas où vous seriez un peu déprimé de la situation au Québec après l'arrestation du numéro 2 de la métropole, la commissaire a rappelé que partout dans le monde, «les sommes investies par l'État ont toujours attiré les profiteurs».

C'est donc le choix de la Commission de n'annoncer aucune restriction à ce mandat extra-large. Et sans doute est-ce une bonne idée, vu que les travaux ne sont pas encore commencés.

Certes, on ciblera les cas importants ou révélateurs de «stratagèmes» de corruption ou de collusion pour fixer les prix des marchés publics.

Mais ce matin, tout est ouvert. Pas un clou, pas une truelle, pas un dix-roues n'est déclaré hors d'intérêt pour la Commission.

C'est un peu affolant, mais en voyant un Renaud Lachance, qui a dirigé pendant sept ans les fouilles dans les finances de l'État, je me dis qu'il y a tout de même des gens qui savent organiser des grands chantiers d'investigation...

Je note aussi cette nouvelle intéressante qui était passée inaperçue: la Commission a demandé au gouvernement une modification de la loi, pour donner des pouvoirs de saisie aux commissions d'enquête, comme cela se fait dans d'autres provinces. La requête a été acceptée et la loi devrait être modifiée avant la fin de la session.

Si cette commission ne trouve rien de nouveau, ce ne sera pas parce qu'elle n'en avait pas les pouvoirs...

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La commissaire, on le sent, a un énorme poids sur les épaules. Les attentes sont telles qu'il va falloir arriver avec du solide.

Pas mauvais de redire que les commissions d'enquête ne sont pas là pour juger des individus, encore moins les condamner. Il y a des tribunaux pour ça.

Il faut aussi rassurer les témoins: leurs droits sont déjà bien affirmés par des jugements de la Cour suprême. Chaque personne susceptible d'être blâmée par une commission reçoit un avis, auquel elle peut répondre pour faire valoir son point de vue. Il pourrait y avoir des huis clos si le contexte le justifie, comme c'est arrivé temporairement pendant la commission Gomery.

Quand on connaît un peu le caractère de France Charbonneau, on peut sans doute prendre au sérieux son avertissement aux avocats: le niaisage ne sera pas toléré (elle l'a dit plus élégamment). Chaque journée compte.

On sait maintenant officiellement que Jacques Duchesneau va apparaître en lever de rideau (on a beau dire que ce n'est pas un spectacle, même une commission sérieuse a le droit d'être spectaculaire).

Il devra expliquer à nouveau son rapport sur le système qu'il a mis au jour aux Transports. Mais je ne serais pas étonné qu'il arrive là avec un ou deux lapins bien frais et bien gras. Il n'a pas digéré l'accueil que certains ont fait à son rapport. Ce sera le moment d'une mise à jour...

Il y a une vieille règle d'avocats pour l'alignement des témoins: commencer fort, finir fort.

En attendant qu'on repousse cette fin, c'est une bonne idée d'emmener un témoin connu du public, respecté et qui connaît à la fois le crime organisé, la politique et quelques stratagèmes...