Un avocat me disait hier à quel point il jubile depuis lundi. Enfin!

Enfin quoi?

Enfin une clique organisée pour kidnapper la démocratie municipale se retrouve au poste de police, bientôt devant le juge. Et pas des deux de pique. Tony Accurso, bien sûr, mais plein de professionnels.

De vrais pros, en effet...

«On voit tout ça passer depuis des années, on sait qui le fait, comment, on le dénonce comme on peut, mais on dirait qu'ils ne faisaient que gagner du terrain année après année. Les fonctionnaires municipaux dans la couronne nord en particulier, mais dans plein de villes de la région de Montréal sont écoeurés de voir les professionnels prendre le contrôle, surfacturer, organiser les appels d'offres, s'emparer des contrats. Là, au moins, il y en a qui sont accusés. Et on sent qu'il y en aura d'autres. Enfin!»

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Les gens du milieu sont tout de même estomaqués de voir au nombre des accusés l'avocat Jacques Audette, de chez Fasken Martineau. Il n'était pas le suspect numéro un de la magouille municipale, loin de là.

L'homme est même très aimé. Il a représenté la police dans plusieurs dossiers de relations de travail, et est même assez proche de Jacques Duchesneau, qui l'a connu quand il était chef de police.

Mais quiconque a fréquenté les palais de justice vous le dira, même les gens sympathiques peuvent faire des choses étranges. Et d'après la police, cet avocat d'un des plus grands bureaux du Canada était beaucoup trop près de certains mauvais... bons clients. Et il était partie prenante au système.

Quand on sait que certains bureaux d'avocats se font une spécialité d'organiser et de financer des campagnes électorales municipales, on se demande dans le milieu qui seront les prochains à tomber.

«Je songe à partir un pool en ce moment, et j'ai une bonne idée des noms que je mettrais en haut de la liste», dit un professionnel qui connaît très bien le milieu municipal.

«Je me suis fait appeler carrément par un organisateur qui me disait: on fait le tour des professionnels pour la campagne électorale dans la ville x, faudrait que tu mettes 10 000$», confie un avocat. Il ne l'a pas fait. Il n'a aucun mandat de cette ville. Voilà ce qui arrive quand on ne sait pas faire du «développement des affaires», comme ils disent...

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Rohe, BPR, en voilà qui savent comment développer les affaires dans le génie-conseil.

Quand des vice-présidents de ces firmes se retrouvent accusés au criminel dans des stratagèmes de corruption, qu'est-ce que cela nous dit de la probité du milieu? Je ne parle pas de l'ingénieur de ces boîtes, évidemment tenu à distance des techniques de chasse au contrat. Je parle des organisations à leur plus haut niveau. On n'y voit que du feu?

Eh bien.

N'oublions pas que le grand patron de SNC-Lavalin, Pierre Duhaime, vient de se faire virer avec une jolie prime de 4,9 millions pour avoir autorisé des paiements de plus de 50 millions pour obtenir des contrats en Libye.

Ah, il était beau à voir, Pierre Duhaime, quand il critiquait le rapport Duchesneau, l'an dernier. Des allégations pas très documentées, disait-il, et de toute manière, on ne verrait jamais ça chez SNC-Lavalin!

La firme Dessau n'est pas en reste: un ingénieur et un ex-urbaniste d'une de ses divisions sont au nombre des accusés dans le dossier de Mascouche.

On voit bien que le système Mascouche ne s'arrête pas dans cette ville. Rosaire Fontaine, de chez BPR, firme omniprésente dans le municipal, est accusé dans le dossier de Mascouche comme dans celui de Boisbriand. Une malchance incroyable? Il faudrait être stupide pour ne pas voir ici un système copié de ville en ville.

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Mais pensez-y: des bureaux d'ingénieurs participant jusqu'au plus haut niveau à des systèmes de corruption répétés de ville en ville. La main dans la main avec des politiciens véreux. Et des entrepreneurs donneurs de pots-de-vin. Et des avocats et d'autres collecteurs d'argent sale.

Que va-t-il leur arriver si tout ceci, qu'on soupçonne, et maintenant dont on les accuse, se confirme? Si les accusations finissent par pleuvoir? Si la commission Charbonneau expose l'énorme système pourri qui gangrène la politique municipale, mais qui infecte aussi tous les niveaux?

Une firme comme Dessau compte 4700 employés partout au Canada. Pensez-vous qu'on rigole au conseil d'administration en voyant que certains employés sont accusés dans un système de corruption qui nous laisse en supposer d'autres?

On ne mesure pas encore l'ampleur des conséquences que l'offensive anticorruption risque d'avoir.

Elles pourraient être cataclysmiques pour tout un milieu.

Mais on pourra dire qu'ils ont travaillé très, très fort pour en arriver là.