Hier, on parlait de mépris des étudiants; aujourd'hui, Amir Khadir parle d'une «guerre à la jeunesse». C'est déjà mardi, mais «génocide» et «holocauste du savoir» sont encore disponibles pour quiconque voudrait rajouter une couche de pathos.

Je rappelle que le gouvernement a décidé de faire passer les droits de scolarité de 2168 $ par année en 2011-2012 à 2493 $ l'an prochain, puis 2818 $ l'année suivante et ainsi de suite pour atteindre 3793 $ en 2016-2017.

On peut avoir un très grand nombre d'opinions raisonnables sur la juste part qu'un des futurs nantis de la société devrait payer pour ses études supérieures. Certains disent «zéro». D'autres disent «comme la moyenne canadienne». Le gouvernement a opté pour une augmentation énorme en pourcentage, mais qui nous maintient nettement sous la moyenne canadienne. Cela totalisera au bout de cinq ans 1625 $ de plus par année, soit 813 $ par session.

Ce n'est pas négligeable. Mais... une guerre à la jeunesse?

Ben coudonc.

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Pendant ce temps, les leaders étudiants finassent et découvrent avec délices les subtilités du langage diplomatique.

Ils ne «condamnent pas» les actes de vandalisme, ils s'en «dissocient».

Même ceux qui ne sont pas amateurs de sodomie entomologique auront compris ce que ça veut dire:

«On n'a rien à voir là-dedans, mais on n'ira pas jusqu'à dire que c'est pas correct, vu que le gouvernement a vraiment couru après.»

Leur argument: il y a déjà les tribunaux pour condamner, ce n'est pas notre mandat.

Joli sophisme. Les tribunaux sont là pour juger des individus, pas pour émettre des opinions morales. Une association, un leader peut très bien, et doit même dénoncer un acte qu'il réprouve. C'est une manière de se définir, de définir ses valeurs. Rien à voir avec la présomption d'innocence, puisque personne n'est accusé. Si on n'est pas capable de dire que le saccage d'un bureau ministériel, des menaces et du vandalisme sont en soi, et dans ce contexte précis, inacceptables, c'est qu'on a peur de s'aliéner la frange radicale, c'est qu'on pense qu'elle est utile à la lutte. Alors on s'entend sur un terme moins tranchant, comme font les ambassadeurs à l'ONU au moment d'écrire un communiqué conjoint.

C'est ainsi qu'ils ne sont même pas capables de dire clairement: pas ça, pas nous.

Pas très impressionnant.

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La stratégie du gouvernement de diviser le mouvement est transparente. Écarter les «radicaux». Mettre de la pression sur les modérés. Qui eux-mêmes vont commencer à se faire pousser par leur base.

Il y a chez les étudiants une vaste variété de points de vue et ça commence à chauffer dans certains départements.

Une étudiante de cégep m'écrit l'autre jour: «J'ai voté hier pour la grève illimitée; d'après vous, qu'est-ce qui va nous arriver?»

C'est une excellente question que vous auriez dû poser à vos dirigeants avant le vote.

Qu'est-ce qui peut bien arriver quand on n'a aucune position de repli? Quand des dirigeants d'association ont fait voter les étudiants pour une grève illimitée, donc plus ou moins sans possibilité d'assemblée générale pour changer d'idée?

Il va arriver que la session est foutue, voilà ce qui va arriver. Avec ce qui suivra. Ceux qui finissaient le cégep et allaient entrer à l'université, eh bien ce sera les cours d'été, s'il y en a, et tant pis pour la job.

Si on croit que cette augmentation est une guerre à la jeunesse, ça vaut bien un peu de temps perdu.

Mais d'après ce que j'entends, les «pour» ne le sont pas tous de la même manière et aussi intensément...

Et puis, même dans une guerre, il est bon d'avoir une position de repli. C'est quoi, le plan B? Espérer que l'usure de ce gouvernement fera grossir encore les appuis? Il se greffe en effet au mouvement toutes les insatisfactions face au gouvernement Charest, des gaz de schiste à la construction, et mettez-en. Ou peut-être le vandalisme entraînera-t-il une sorte de sentiment d'urgence nationale?

Les fracas me semblent plutôt indiquer que le mouvement vient de voir une pancarte avec écrit dessus: cul-de-sac.

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PQ, PLQ, CAQ ou QS, on est pris avec le même problème: le sous-financement universitaire relatif dans le contexte canadien.

Ah, pas de doute, les université se sont lancées dans des opérations de développement qui ont vu celle de Sherbrooke ouvrir une succursale à Longueuil, celle de Rimouski à Lévis, et j'en passe et des plus comiques.

Mais une fois cela constaté, on n'a pas réglé le problème du financement. Et on pourrait même dire que cette course effrénée aux clientèles hors limite avec des programmes (parfois) «cheap» est directement liée au sous-financement des universités. Multipliez les certificats et programmes donnés par des chargés de cours, facturez les mêmes droits à ces étudiants qu'à ceux en sciences pures, et vous venez de trouver un peu d'oxygène.

Alors faites toutes les commissions que vous voulez, le fait est qu'à ce train-là, l'université québécoise francophone perd du terrain tranquillement, pas vite, mais sûrement.

Ça aussi, tant qu'à jouer du violon, c'est une façon de mépriser la jeunesse.