OK, c'est vrai, j'ai exagéré. Il n'y a pas d'agonie commerciale sur le Plateau Mont-Royal. Il n'y a pas de fermetures massives. Les loyers en fait y augmentent de manière frénétique, signe d'une prospérité générale réelle ou anticipée.

Ce qu'il y a en fait, c'est une sorte de guerre culturelle urbaine qui semble fasciner le Québec en entier, et pas seulement parce qu'un trop grand nombre de journalistes habitent sur le Plateau.

Il est vrai que le Plateau est surreprésenté dans les nouvelles en partie à cause de cette concentration presque toxique de journalistes. Peut-être faudra-t-il établir des quotas ?

Si une controverse éclate à Saint-Eustache à propos d'un cochon vietnamien qu'un citoyen veut garder chez lui, ça ne se rendra jamais dans Le Devoir ou dans La Presse. Mais si ça se passe sur le Plateau... Oh, attention, l'affaire est d'intérêt national.

Mais le Plateau-Mont-Royal est aussi l'endroit où s'écrit le prochain chapitre québécois de la guerre urbanistique.

Il y a bien plus en jeu ici que des budgets de déneigement, le prix du parking, la circulation locale, les pistes cyclables et les tarifs des terrasses.

Car enfin, comme me le dit le conseiller Alex Norris, le Plateau n'est pas si excentrique qu'il y paraît. D'autres arrondissements ont commencé à déneiger le pistes cyclables pour en faire un « réseau blanc » tandis que le Plateau en parle pour l'an prochain. D'autres arrondissements ont « sauté » des chargements de neige en misant sur la fonte hâtive. Et si les parcomètres sont chers, du moins on peut y acheter trois heures de parking au lieu de deux.

Ce qui se passe sur le Plateau, très consciemment, c'est que l'administration locale a décidé de cesser de subir ce qu'elle perçoit comme les effets de l'étalement urbain effréné. Ça se discute partout. Mais rien ne se fait.

Ce n'est pas le maire de l'endroit, Luc Ferrandez, qui va empêcher la construction d'un nouveau quartier à Mirabel. Mais il a décidé que les gens du Plateau cesseraient d'en payer le prix. Le nombre de voitures sur Christophe-Colomb est passé environ de 4000 à 8000 par jour entre 1989 et 2009. Qu'un grand nombre arrive d'Ahuntsic, de Rosemont ou d'autres parties de Montréal ne change rien à l'affaire : les gens de l'endroit ont précisément choisi un autre mode de vie.

Le principal mode de transport des gens du Plateau est la marche (33%), suivie par la voiture (30%), le transport en commun (29%) et le vélo (8 ou 9%).

Alex Norris fait valoir qu'en même temps, le Plateau est l'endroit où la proportion de piétons blessés dans des accidents est la plus élevée au Québec.

Pour lui, le Plateau, quartier central de la ville, « paie le prix pour la croissance effrénée » du parc automobile.

Autrement dit, dans cet endroit où les gens sont les moins automobilistes, on subit exagérément les choix urbains et sociaux des autres.

D'où les changements de sens de rues. D'où l'élargissement des pistes cyclables. D'où les nouveaux espaces réservés aux détenteurs de vignettes. Les trottoirs élargis pour empêcher le parking aux angles des rues.

Ce qui finit par rendre l'accès plus difficile, comme chacun sait. « Notre but n'est pas de réduire l'achalandage. Le taux d'inoccupation des commerces sur Mont-Royal est de 4,3%, alors qu'il est de plus de 8% sur Sainte-Catherine entre Atwater et Papineau. Mais si votre modèle d'affaires est fondé sur la présence de nombreux automobilistes et repose sur des places de stationnement, ça se peut que ce soit difficile. On ne peut pas concurrencer avec le Dix30 ou le Marché Central. Il faut miser sur ce qui nous distingue. Même si en fait vous risquez d'être stationné bien plus loin au Dix30 que sur le Plateau. »

Les gens qui m'ont écrit la semaine dernière du Plateau (mais on dirait que jusqu'à Québec le sujet résonne) étaient très divisés. Plusieurs applaudissent la persistance de Ferrandez et Projet Montréal à changer vraiment le quartier.

Ceux-là refusent de payer sans cesse plus pour être « obstacle entre la banlieue et le centre-ville », où la population double le jour à cause de toutes les institutions qui s'y trouvent.

Il y a un coût à ces changements, toutefois, que d'après moi le maire Ferrandez et son équipe sous-estiment, ou plus probablement, font mine de ne pas voir.

Ce coût, il est transféré aux automobilistes, locaux et de l'extérieur, qui ont de la difficulté à venir y dépenser de l'argent. Et donc à plein de commerces.

Cela évidemment ne se voit pas les beaux dimanches. Mais de toute manière, la lutte est ailleurs. Elle est dans la conception même de la ville.

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Pour le conseiller Alex Norris, le Plateau, quartier central de la ville, «paie le prix pour la croissance effrénée» du parc automobile.