Un homme s'en va dans l'appartement de son cousin à Toronto et y trouve un revolver. Oh, wow, se dit Leroy Smickle, qui décide de se photographier avec l'arme chargée à bloc, puis de placer ça sur Facebook.

Smickle n'est sur aucune liste pour l'obtention d'un prix Nobel, et pas longtemps après, la police est allée l'arrêter. Il a été accusé de possession d'une arme prohibée, comme il se doit.

Selon le Code criminel tel que modifié par les conservateurs en 2008, Smickle devait se faire imposer une peine automatique de trois ans de pénitencier minimum.

C'est ce qui est prévu pour une première infraction, que vous soyez en train de préparer le vol du camion postal ou en train de faire le con sur Facebook.

La juge Anne Molloy, de la Cour supérieure de l'Ontario, a dénoncé la «colossale erreur de jugement» de Smickle: l'incident aurait pu tourner à la fusillade quand les policiers sont entrés dans l'appartement.

Mais ce con n'est pas un criminel. C'est un homme qui travaille, qui a une fille, qui ne menaçait personne, qui ne pointait pas son arme vers les policiers, qui était dans un espace privé. C'est un crime, certes, mais trois ans?

Je travaille à Toronto, je sais très bien le mal que peuvent faire les armes à feu, a dit la juge. Mais une peine semblable dans un cas comme celui-ci serait grossièrement exagérée. C'est même une peine «cruelle et inusitée», contraire à la Charte. Elle a déclaré ce minimum automatique inconstitutionnel il y a deux semaines. Et infligé une peine de prison à domicile d'un an.

Les juges canadiens n'auraient pas nécessairement tous rendu cette décision. Mais je suis convaincu que la majorité est d'accord sur le fond: les peines minimales automatiques sont une bêtise qui conduit à des injustices. Parce qu'elles ne permettent pas de tenir compte de l'accusé et des circonstances du crime.

Quel avantage sécuritaire ou social y aurait-il à emprisonner un type comme Smickle pendant trois ans pour un cas semblable? Aucun. Mais une peine automatique retire toute discrétion au juge et interdit de fabriquer la peine sur mesure qui conviendrait.

Les amateurs de punitions sévères vous diront qu'ainsi, on élimine les disparités dans les sentences et l'arbitraire des juges. Sauf qu'on le remplace par un arbitraire de robot.

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Le projet de loi C-10, qui est sur le point d'être adopté par le Sénat (après la Chambre en décembre), contient plusieurs mesures du genre pour toutes sortes de crimes.

On se propose d'augmenter des maximums, comme de faire passer de 7 à 14 ans la peine maximale pour «production» de marijuana.

On veut empêcher les juges d'accorder une peine avec sursis dans une centaine de crimes «graves» - mais un crime est grave selon les circonstances, rarement dans l'absolu.

On introduit également des peines minimales automatiques. Comme pour la possession pour fins de trafic. Pour quelqu'un arrêté avec une quantité de 5 à 200 plants de pot, la peine minimale sera de six mois. De 201 à 500, c'est un an minimum.

Si l'accusé suit avec succès une cure de désintoxication, il ne sera pas soumis à ce minimum. Mais on peut imaginer toutes sortes de scénarios où ce minimum n'est pas approprié, avec ou sans thérapie, et avec ou sans succès.

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Après le barreau, après les ministres de la Justice des provinces, après des experts de toutes sortes, un avocat américain impliqué dans la confection de lois du genre (mais beaucoup plus sévères) aux États-Unis est venu dire que ces solutions ne règlent rien et sont parfois ruineuses.

Le directeur parlementaire du budget a déclaré cette semaine que C-10 allait coûter 137 millions par année aux provinces... seulement pour les restrictions concernant les peines avec sursis.

La bonne nouvelle, c'est qu'il y a encore des fonctionnaires à Ottawa qui peuvent dire publiquement des choses déplaisantes pour le gouvernement. La mauvaise, c'est que ça ne refroidit pas du tout le gouvernement.

Pas plus que les statistiques sur la baisse de la criminalité.

Pas plus que la lettre envoyée personnellement au premier ministre par la Commission mondiale pour la politique des drogues (signée par Louise Arbour, d'anciens présidents brésilien, suisse et colombien et un ex-ministre norvégien). Plus de sévérité et des peines automatiques, cela a été essayé ailleurs, ça ne fonctionne pas et ça coûte cher. Voyez donc plutôt la drogue comme une question de santé, pas de police, disent-ils.

Ces gens-là ne seront pas écoutés, ce sont des abolitionnistes.

Il est vrai aussi qu'on est loin des peines délirantes américaines. Selon le criminologue Maurice Cusson, l'augmentation des coûts n'est pas si certaine, car les policiers, les victimes, les avocats, les accusés et les juges trouveront des stratégies pour contourner les peines trop sévères.

On se retrouvera tout de même avec un droit criminel plus stupide et plus injuste.

On vous dit que tout ça, c'est «pour les victimes». Quelle blague. Même des groupes de victimes dénoncent C-10. Non, tout ça, c'est pour faire réélire des conservateurs et soulager quelques idéologues.