Tandis qu'on discute à Québec de la manière d'enquêter sur la police, les cas s'accumulent.        

Il y a 10 jours, les policiers de Saint-Eustache ont abattu un homme qui commettait un vol en pleine nuit dans un dépanneur. La semaine précédente, ceux de Montréal ont abattu un homme en détresse dans un appartement d'Hochelaga-Maisonneuve. À ces cas s'ajoute celui d'un sans-abri abattu à la station de métro Bonaventure en janvier.

Déjà, 2011 était une année record, avec 22 personnes tuées ou blessées sérieusement par des balles policières au Québec.

Il y aura enquête par un autre corps de police. Il y aura rapport à un procureur. Et si, comme c'est généralement le cas, aucune accusation criminelle n'est portée, on n'en saura pas plus long.

Inévitablement, on attaquera la crédibilité de l'enquête. J'ai déjà dit qu'à mon avis, le système actuel manque de crédibilité. Le système de surveillance civile proposé par le ministre Robert Dutil est trop timide, sans réel pouvoir. Il faudrait créer une unité policière spécialisée dans les enquêtes sur les policiers. Ou au moins faire ce que le Barreau suggérait hier en commission parlementaire: obliger les policiers impliqués à fournir leur version tout de suite après l'événement, leur interdire de communiquer entre eux et donner de réels pouvoirs de vérification au surveillant civil pendant les enquêtes.

Mais je ne suis pas de ceux qui pensent qu'un système plus indépendant entraînerait beaucoup plus d'accusations.

Les cas comme celui du policier de Toronto qui a tiré sur un suspect dans le dos sont rarissimes. L'agent ontarien a d'abord été accusé d'homicide involontaire, puis les enquêteurs de la police des polices et la Couronne ont décidé la semaine dernière de l'accuser de meurtre non prémédité.

Tant mieux, évidemment, si le système est moins complaisant. Mais le problème est généralement qu'on ne sait jamais vraiment ce qui s'est passé ni pourquoi on n'a pas porté d'accusation et si on avait raison de ne pas le faire.

Il n'y a pas que la logique du droit criminel pour évaluer une opération policière. Un policier a beau ne pas être «coupable» d'un crime en déchargeant son arme à feu, il peut quand même avoir commis une faute, son intervention peut être ratée, mal planifiée.

Autrement dit, l'absence de responsabilité criminelle n'est pas le test ultime de la compétence policière. Et en ce moment, l'opacité du système d'enquête nous empêche d'y regarder sérieusement.

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Fallait-il vraiment que Jean-François Nadreau meure dans son appartement d'Hochelaga-Maisonneuve, il y a deux semaines?

Il était en crise d'angoisse profonde, il avait consommé de l'alcool et de la coke. Ses amies ont appelé le 911. Quand les policiers sont arrivés sur place, il tenait une machette et menaçait les policiers. Ils ont tiré. Il est mort.

Tenons pour acquis un instant que le policier était menacé par l'homme et qu'il avait une fraction de seconde pour protéger sa vie. Il n'y a pas de crime. Mais était-ce la bonne façon d'intervenir pour porter secours à cet homme en crise?

Son frère, Sébastien Nadreau, a donné une entrevue bouleversante à ma collègue Daphné Cameron, quelques jours après. «Je n'ai aucune colère, je suis triste pour le policier qui a tiré. Lui aussi, c'est un humain, il a une famille. Il n'y a personne qui peut se sentir bien d'abattre quelqu'un.»

Mais en même temps, disait-il, son frère n'était pas «un criminel», mais un homme en crise qui avait besoin d'aide. Et «les policiers ne sont pas équipés pour apporter le type d'aide nécessaire». C'est-à-dire faire face à des malades psychiatriques.

On peut penser au cas de Mario Hamel, sans-abri lui aussi en crise, abattu rue Saint-Denis l'été dernier tandis qu'il brandissait un couteau - un passant, Patrick Limoges, est mort dans la même opération en recevant une balle perdue.

On se demande comment enquêter pour savoir s'il y a eu un crime et c'est une excellente question.

Mais quand on aura répondu non, on n'aura pas posé les autres questions. Parce qu'on se concentre sur le moment où le policier appuie sur la détente. Le moment où il est trop tard, parce que c'est sa vie ou celle de l'autre.

Et c'est tout ce qui vient avant qu'on ne regarde pas. Pourquoi et comment on s'est rendu à ce moment fatal. Comment la mort est devenue inévitable. Et comment faire pour ne pas y arriver.

Un bon système d'enquête devrait aussi nous aider à répondre à cette question en ne nous contentant pas de nous fournir une conclusion.

Il devrait nous montrer clairement comment on s'est rendu là où il n'y a plus rien d'autre à faire que de tuer un homme.