Au lieu de s'inquiéter des sources journalistiques, le ministre de la Sécurité publique devrait plutôt se demander comment sont gérées les sources policières.

N'est-ce pas ça, le fond du problème de l'affaire Davidson?

Pas pour le ministre Robert Dutil, apparemment. Pour sa première intervention dans l'affaire de la «taupe» au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), M. Dutil demande la tenue d'une enquête sur les fuites ayant mené à la révélation de cette taupe dans les médias.

N'y a-t-il pas lieu, en premier, de se demander comment on protège l'identité des informateurs qui risquent leur vie au sein du plus important corps de police du Québec?

Comment se fait-il que le policier Ian Davidson pouvait se promener en ville avec, dit-on, une liste de 2000 noms d'informateurs secrets à vendre pour le crime organisé? Comment se fait-il qu'on a mis ça sur support informatique, et qu'un homme seul pouvait l'avoir en sa possession? Comment se fait-il qu'il n'a été arrêté qu'au moment où il allait fuir au Costa Rica, pays avec lequel nous n'avons pas de traité d'extradition? Pourquoi n'était-il pas encore en état d'arrestation? Qui avait été compromis? Quelle est l'étendue des dommages?

Les voilà, les questions à poser.

Au lieu de ça, on se demande qui a parlé aux journalistes. Le fait que TVA, puis Radio-Canada, puis La Presse, etc. ont révélé l'enquête interne sur cette «taupe» aurait nui à l'enquête. C'est possible. Mais Davidson, arrêté plusieurs semaines auparavant, savait qu'il faisait l'objet d'une enquête. Et hier, le chef de police de Montréal, Marc Parent, n'a pas pu dire en quoi la médiatisation avait empêché l'avancement de l'enquête.

Bref, il ne faut pas confondre un embarras médiatique et une entrave au travail des policiers. Ce n'est pas parce que la police de Montréal a eu honte qu'elle a été empêchée d'agir.

Quand autant de médias ont des sources concordantes, c'est que beaucoup de policiers sont très mécontents de la manière dont les choses se passent «à l'interne», parfois pour de très bonnes raisons.

Bien entendu, les policiers ont un devoir de confidentialité. Bien entendu aussi, les corps de police ont le droit et le devoir de s'assurer que cette confidentialité demeure étanche. Une fuite peut mettre des vies en danger. Ils ont le droit d'enquêter sur les fuites. Les policiers s'occupant de dossiers un peu délicats le savent. Certains se sont déjà fait dire qu'on pourrait leur faire passer le détecteur de mensonges s'il y avait une fuite dans les médias.

Ils ont le droit... jusqu'à un certain point. Et ce point, c'est le territoire journalistique.

* * *

Quand le ministre de la Sécurité publique demande une enquête de notre police nationale, c'est autre chose. On dépasse le cadre de l'enquête interne et on assiste à une troublante politisation du dossier.

Quels seront les moyens d'enquête? Va-t-on faire de la filature des policiers de Montréal pour vérifier dans quels garages ils vont parler à des journalistes? Y aura-t-il des tentatives d'écoute électronique? Surveillera-t-on les communications de journalistes qui ont un peu trop de sources policières dérangeantes?

C'est tout ce territoire qui est hors limite dans une démocratie digne de ce nom. La Cour suprême a écrit en 2010 que «le rôle du journalisme d'enquête s'est élargi au fil des ans pour combler ce qui a été décrit comme un déficit démocratique».

Les sources journalistiques ne jouissent pas de la protection quasi absolue des informateurs de police. Mais la loi leur accorde une protection tout de même, et la SQ n'a pas à interroger les journalistes sur leurs sources.

Je cite le juge Pierre Dalphond, de la Cour d'appel, en 2009, dans une affaire issue du scandale des commandites: «En démocratie véritable, cette liberté de diffuser ne se limite pas aux informations rendues publiques par le gouvernement de temps à autre, mais aussi à celles que le/la journaliste obtient sans poser un geste illégal (reportage, enquête, etc.). Cela comprend des informations obtenues d'une source qui manque à une obligation de confidentialité imposée à elle, mais non aux journalistes.»

Je n'accepte donc pas que, sous prétexte de veiller à la confidentialité des enquêtes, la SQ vienne tripatouiller les enquêtes journalistiques ou intimider les sources.

Surtout après des années d'enquêtes journalistiques qui ont embarrassé le gouvernement. Surtout à la veille d'une commission d'enquête qui l'embarrassera encore - s'il y est.

En «démocratie véritable», comme dit le juge Dalphond, il est intolérable que l'on tente d'étendre le devoir de confidentialité aux journalistes qui obtiennent leurs informations légalement.

Cette limite-là est claire et ne doit pas être franchie. Quelle limite? Celle de la politisation de la police et de l'intimidation plus ou moins voilée.