Rien n'est plus précieux que mon honneur, disait Mohammad Shafia trois semaines après qu'il ait tué trois de ses filles et sa première femme.

Une vision de l'honneur «tordue et malade», comme a dit le juge Robert Marenger hier en l'envoyant finir sa vie dans un pénitencier.

Malade, mais si forte qu'il n'a pas eu assez de tuer ces quatre femmes. Il s'est servi de son autre femme et de son fils aîné.

Ceux-là sont complices et aussi coupables que le père. Mais on voit bien qu'ils ont été les instruments de sa haine des femmes.

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Elles s'appelaient Geeti, Sahar, Zainab et Rona, elles avaient 13, 17, 19 et 53 ans. Et elles sont mortes pour avoir voulu être un peu libres dans une maison où le chef haïssait la liberté des femmes.

«Dans quel désastre m'as-tu entraînée?» a demandé Tooba Yahya à son mari, trois semaines après ce quadruple assassinat.

L'homme se justifiait. Il criait encore ses «principes», sa «religion», son «Dieu». Il vomissait encore ses filles, qui embrassaient des garçons, qui portaient des bikinis, et qui ont été punies de mort pour ça. Pour avoir laissé entrevoir une sexualité qui ne soit pas contrôlée par le père.

Ce fut un rare moment de contestation pour Tooba. Toujours, elle rentrait dans le rang.

Quand les policiers de Kingston ont fait venir un enquêteur de la GRC d'origine iranienne, et qui parle le farsi, Tooba a eu une autre faiblesse.

Elle a concédé que ce n'était pas un accident. Que la voiture de Shafia était sur les lieux du crime. Qu'il a poussé celle des quatre victimes dans les écluses. Elle a dit qu'elle a crié en entendant le «splash», elle qui attendait dans le noir, sans rien voir de l'action, mais qui savait bien...

Le lendemain, l'ordre patriarcal des choses a repris le dessus. Elle venait de passer la nuit en prison, sans contact avec son mari. Malgré tout, elle est retournée voir le policier et a renié cette version. Elle était fatiguée. C'était un accident, elle dormait au motel, tout le monde dormait au motel sauf ces quatre aventurières.

Et jusque dans sa défense, elle a obéi à la loi de Mohammad Shafia. Elle en paiera le prix.

La preuve nous suggère qu'elle avait une chance de s'en sortir avec une condamnation moindre. Elle était moins impliquée que Mohammad et Hamed. Elle n'avait pas préparé l'itinéraire, fait des recherches, confessé son plan à des proches (le père Shafia avait dit qu'il voulait noyer une de ses filles, trois semaines avant l'événement).

Il était possible de soulever le doute sur sa présence sur les lieux, sur sa réelle participation, sur son intention criminelle, sur le fait qu'elle a été une complice involontaire, ou après le fait. Toutes choses que n'a jamais tentées son avocat. C'était une défense uniforme, unique, de groupe.

Une défense qui consistait à tenter de sauver le fils d'abord si possible (le père a dit que c'était lui qui avait apporté le téléphone d'Hamed aux écluses par mégarde, la veille du meurtre, dans cette probable séance de repérage). Ou à périr tous ensemble.

Pourtant, des trois, seule Tooba avait une défense un peu présentable. La meilleure.

Mais dans cette famille, c'était la loi du père et la haine des femmes qui étaient en vigueur. Et tenter de s'en sortir, c'était le condamner.

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On ne saura jamais exactement comment ces quatre femmes sont mortes. Elles étaient probablement inconscientes au moment où leur voiture a plongé dans l'eau. Comment? Par qui? Mystère.

Mais un jury n'a pas à trouver la réponse à toutes les questions. La seule conclusion logique était qu'un meurtre avait été prémédité, planifié et exécuté. La configuration des lieux, la preuve de préparation, les paroles du père après les faits: tout menait à cette conclusion.

Voici l'exemple parfait qu'une preuve «circonstancielle» est parfois aussi forte qu'une preuve avec des témoins directs.

Celle-ci n'a pas été facile à monter, et on n'exagère pas en disant que la police de Kingston a fait là-dedans un travail brillant dans un contexte délicat.

Ce verdict évacue pour l'instant toute discussion juridique sur la notion de «crime d'honneur». Ce sont... des meurtres. Des meurtres prémédités, qui appellent une peine automatique, la plus sévère de notre droit, quelles qu'aient pu être les justifications des accusés.

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