L'avocat de Léon Mugesera avait la mine sombre en sortant de la salle d'audience, hier.

En n'attendant pas l'avis du comité de l'ONU sur la torture, le Canada ne respecte pas ses obligations internationales, a-t-il soutenu.

Mais que dire des obligations du Canada en ce qui concerne la répression des génocides?

Le juge Michel Delorme, de la Cour supérieure, venait de déclarer que Mugesera s'était adressé au mauvais tribunal. Mais il a ajouté que le comité de l'ONU n'émet que des constatations. Il n'a aucun pouvoir de contrainte. La Cour ne peut donc accorder un sursis au renvoi dans l'attente d'un simple avis non contraignant. C'est au gouvernement de décider s'il attend cet avis et, après 20 ans, le Canada a jugé avec raison qu'on avait assez attendu.

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Léon Mugesera a utilisé tous les recours et un peu plus - on se souvient de la honteuse manoeuvre de son ex-avocat, Guy Bertrand, qui avait demandé à la Cour suprême de stopper tout le processus sous prétexte d'une sorte de complot juif visant à faire expulser son client.

Les tribunaux canadiens ont examiné consciencieusement tous ses arguments. Et, à la fin, ils les ont rejetés - le jugement définitif de la Cour suprême date de 2005.

Si Mugesera n'a pas été expulsé dès 2005, c'est qu'on appliquait encore la peine de mort au Rwanda. On s'inquiétait également des possibilités de torture ou de mauvais traitements.

Depuis, la peine de mort a été abolie et le Canada a obtenu des garanties jugées suffisantes quant au traitement dont Mugesera fera l'objet.

Oh, bien entendu, il n'aura pas droit à la qualité de la justice canadienne. Dans un cas, le Canada a d'ailleurs décidé de juger ici un génocidaire rwandais, Désiré Munyaneza. Il a été déclaré coupable en 2009 de crimes contre l'humanité, de génocide et de crimes de guerre. C'est une première, permise en vertu d'une loi adoptée en 2000.

Mais le mieux est toujours de juger ces crimes dans le pays où ils ont été commis, dans la mesure où le système judiciaire le permet. Il suffit de lire les rapports d'Amnistie internationale pour constater que la justice rwandaise et son système carcéral sont loin d'être enviables.

Mais les conventions ne garantissent pas le droit à un procès dans le meilleur système de justice possible. L'abolition de la peine de mort en 2007 et un certain nombre d'engagements sont tout de même des avancées.

Il n'est pas vraiment concevable ni souhaitable que tous les complices du génocide dans lequel sont morts 800 000 Tutsis et Hutus modérés en 1994 soient jugés à l'extérieur de leur pays. L'éloignement, les coûts, les problèmes de traduction rendent l'opération extrêmement lourde. Ce n'est qu'une solution de dernier recours. Quand la poursuite a été intentée contre Munyaneza, la peine de mort était encore en vigueur.

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Mugesera a refait sa vie et sans doute ne représente-t-il plus de danger. Mais, à ce compte-là, on n'aurait jamais jugé Adolf Eichman ni aucun autre criminel de guerre nazi: plusieurs ont refait leur vie un peu partout dans le monde et se comportaient en véritables gentlemen dans la vie de tous les jours.

Léon Mugesera était un membre important d'un parti hutu radical qui refusait les compromis qu'on tentait de négocier au début des années 90 pour faire émerger une coalition entre les deux ethnies du Rwanda.

En 1992, alors que déjà au moins 2000 Tutsis et Hutus modérés avaient été massacrés et que régnait un climat de guerre civile, Mugesera avait pris la parole devant une assemblée de 1000 personnes. Ses propos ont été enregistrés. Une querelle subsiste toujours quant à la traduction, mais même Mugesera a reconnu la validité de la traduction faite pour le compte du gouvernement fédéral.

Qu'a-t-il dit? Il a parlé de faire partir les opposants. «Pourquoi n'arrête-t-on pas ces parents qui ont envoyé leurs enfants et pourquoi ne les extermine-t-on pas? Pourquoi n'arrête-t-on pas ceux qui les amènent et pourquoi ne les extermine-t-on pas tous? Attendons-nous que ce soit réellement eux qui viennent nous exterminer?» Et puis: «Celui à qui vous ne couperez pas le cou, c'est lui qui vous le coupera.»

Le contexte ne laisse pas planer grand doute: il incitait à la violence populaire contre les Tutsis au motif que la justice du pays était impuissante.

Au terme d'un examen minutieux, la position de Mugesera a été rejetée par les huit juges de la Cour suprême (la juge Rosalie Abella s'était récusée d'elle-même, son mari étant à l'époque président du congrès juif, qui intervenait dans la cause, d'où la sortie scandaleuse et sans fondement de Guy Bertrand).

Il y a des motifs raisonnables de croire que Mugesera a commis un crime contre l'humanité, a conclu la Cour suprême.

Il est temps qu'il soit jugé pour cela. Son renvoi, loin d'être un déni de justice, est au contraire une victoire pour la justice et la lutte contre l'impunité. Et le signal clair que le Canada n'est pas un refuge pour les génocidaires.